Le régime Paléolithique (ancestral) vu par la Science et les essais cliniques
Le régime « paléo » (paléolithique) a été mis en avant par de nombreux media et blogs en prônant un retour aux sources et à une alimentation plus traditionnelle voire « ancestrale » excluant les produits laitiers et céréaliers. Ce régime propose d’imiter ce que consommaient les chasseurs-cueilleurs du paléolithique (de 2,5 millions d’années à -12 000 ans ) tout en excluant les aliments apparus avec l’agriculture vers -10 000 ans (environ).
Les Homo erectus ont commencé à consomme de la viande de façon significative autour de 1,8 millions d’années avant JC (Eaton 1985). A l’arrivée de l’agriculture, la consommation de viande des premiers Homo sapiens sapiens aurait diminué considérablement au profit d’aliments d’origine végétale ce qui aurait causé des carences en protéines et autres nutriments.
Les défenseurs de ce régime postulent que les maladies chroniques proviennent des aliments raffinés, transformés et riches en sodium issus des révolutions agricoles et industrielles.
De quoi se compose le régime paléolithique ?
Les aliments encouragés sont : la viande, les poissons et les fruits de mer, les œufs, les fruits frais et les légumes frais, l’huile d’olive et de coco et de petites quantités de miel.
Les aliments à exclure sont les céréales complètes, les céréales raffinées, les sucres, les produits laitiers, les légumineuses, les pommes de terre, l’alcool, le café, le sel, les aliments transformés, les autres huiles végétales.
Il est important de distinguer le régime paléolithique de l’époque du paléolithique (il y a plus de 30 000 ans, régime estimé en examinant les fossiles en particulier les dents et leurs résidus d’aliments fossilisés) des régimes contemporains paléolithiques du 20ème et 21ème siècle. Les études anthropologiques estiment que les chasseurs-cueilleurs se nourrissaient davantage de plantes, feuilles et fruits, plutôt que de viande dont la disponibilité était trop aléatoire (Henry 2012).
Cordain et al. (2002) propose un menu d’une journée basée sur le régime paléolithique moderne du 21ème siècle pour une femme de 25 ans et apportant 2200 kcal :

Point de vue nutritionnel
Le régime contemporain « Paléo » est un régime faible en glucides (20% de l’apport énergétique total), riche en protéines (40%) et modéré en graisses (40%). Les lipides privilégiés sont les graisses insaturées avec principalement les oméga-3. En comparaison d’après l’enquête Nationale de Consommation Française INCA3, la répartition des macronutriments consommés en France est de 47% de glucides, 34% de lipides et 17% de protéines. Les recommandations nationales française sont de 40-55% de glucides, 35-40% de lipides et 10-20 % de protéines en termes d’apports énergétiques.
Des chercheurs (Eaton 1985) ont étudié le régime paléolithique du 20ème siècle en se basant sur une cinquantaine de sociétés qui vivaient encore en cueillant et chassant (en Tanzanie, au Paraguay, dans les Philippines, en Australie …). Ils estiment qu’il y a des différences en termes de qualité nutritionnelle de la viande entre la viande de nos jours et la viande du paléolithique. Les animaux domestiqués contiennent plus de graisses sous-cutanées (25-30%) alors que les animaux sauvages en contiendraient autour de 4% (et surtout des acides gras polyinsaturés) et plus de protéines. On peut donc voir des différences notables entre le régime paléo de Eaton (1985) et celui de Cordain (2002) pour les apports en calories ou la répartition énergétique des macronutriments.

La recherche clinique ?
Des bénéfices sur le court terme sur certains indicateurs de santé
La méta analyse (étude scientifique systématique combinant les résultats d’une série d’études indépendantes sur un problème donné) de Manheimer et al. 2015 a inclu 4 essais cliniques avec au total 159 participants. Sur les 6 mois d’intervention, une amélioration a été constatée pour le régime paléo (versus régime contrôle) avec une diminution du tour de taille de 2 cm [-4,73 ; -0,04]IC et des triglycérides de 0,40 mmol/L (graisses). Le niveau de preuve est modéré. Il faut interpréter ces résultats avec précaution puisque pour la cholestérolémie, la pression artérielle (systolique et diastolique) et la glycémie, les intervalles de confiance de la différence de moyenne (entre le régime contrôle vs paléo) sont très larges et ne sont pas significatifs au sens statistique donc cela signifie qu’il n’y avait pas de différence entre le régime contrôle et le régime paléo.
Pas d’effets concluants sur le long terme et manque d’études
Dans les essais cliniques randomisés sur du long terme :
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Mellberg et al. 2014 : cet essai clinique a testé un régime paléo versus un régime suivant les Recommandations de Nutrition Nordiques (NNR) pendant 2 ans avec 70 femmes en surpoids ou obèse (moyenne d’âge de 60 ans, IMC moyen de 33). A 6 mois de régime, le régime paléo a permis une diminution significativement plus importante des triglycérides et du tour de taille par rapport au régime NNR. Par contre à 24 mois, il n’y avait plus de différences entre ces deux régimes pour le tour de taille et les triglycérides. Une des explications peut être la difficulté à adhérer au régime paléo sur le long terme.
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Otten et al. 2016 : cette même étude suédoise a constaté que une réduction plus importante des graisses dans le foie à 6 mois par rapport au régime NNR mais au bout de 2 ans, il n’y avait plus de différences pour les graisses entre les deux régimes.
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Manousou et al. 2018 : à partir des données de cette même étude de 2 ans, les auteurs ont conclu que le régime Paléo (PD Paleo Diet) présente un risque de déficience en iode parce qu’il exclut le sel de table et les produits laitiers.
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Pastore et al. 2015 ont fait un essai clinique sur 8 mois où les 20 participants ont testé un régime suivant les recommandations de l’American Heart Association (AHA) suivi d’un régime Paléo. Le profil lipidique s’est amélioré suite au régime paléo par rapport au régime de l’AHA avec une diminution du cholestérol total, des LDL et des triglycérides et une augmentation du HDL. Les participants sont leur propre groupe contrôle (il n’y a pas de groupe testé le régime AHA versus un groupe Paléo), ce qui est critiquable.
Dans la méta-analyse de Schwingshackl et al. 2018, deux études sur le régime paléo ont été évaluées par rapport à d’autres régimes pour réduire la pression artérielle. La régime DASH était le plus efficace dans la prévention de l’hypertension suivi du régime paléo et méditerranéen. Cependant, les résultats pour le régime paléo sont à interpréter avec prudence puisque seulement 2 études (Jonsson 2009, Mellberg 2014) ont été inclues dans cette méta-analyse.
Limites à avoir en tête en lisant ces résultats
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Le régime paléo pourrait avoir un bénéfice sur le court terme pour la santé métabolique et le poids mais il est impossible de conclure sur le long terme (effet du régime sur plus d’un an).
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Ces essais cliniques ne sont pas forcément généralisables à tout le monde parce que la plupart du temps, les participants sont des personnes en surpoids ou obèses (par exemple l’IMC à 33 est très élevé). Or les personnes obèses ont un métabolisme différent des personnes avec un poids normal.
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Les essais cliniques sont souvent de court terme (moins de 6 mois) et avec peu de participants (moins de 50 personnes).
Les effets du régime paléolithique (y compris la perte de poids, le risque de déficiences nutritionnelles) sur le long terme sont donc encore à investiguer et méconnus avec des études cliniques avec de plus gros effectifs ainsi que sur des participants non obèses.
Le régime paléo exclut tous les aliments ultra-transformés plutôt riches en sucres ajoutés, en sel et acides gras saturés (néfaste si en excès) ce qui est une bonne chose. Dernièrement plusieurs études prospectives ont identifié des liens entre la consommation d’aliments ultra-transformés et un risque d’obésité, d’hypertension (Mendonça 2016, 2017) et de cancer (Fiolet 2018).
Les interrogations nutritionnelles
Le risque majeur est de se priver de catégories entières d’aliments (les légumineuses, les céréales complètes et raffinées) qui sont des sources de certaines vitamines B (thiamine, folates, niacine, riboflavine). Les produits laitiers sont également en France le principal vecteur alimentaire de calcium (38% des apports en calcium chez l’adulte). Certains légumes verts, sardine et saumon sont riches en calcium mais il faut en manger beaucoup plus pour atteindre les recommandations en calcium. Certaines légumes verts peuvent également contenir des facteurs anti-nutritionnels comme les oxalates et les phytates qui se lient au calcium le rendant indisponible (FAO).
Les céréales sont des vecteurs importants de fibres (27% des apports en fibres), de glucides (36% des apports glucidiques), de vitamine B9 (14%). Le régime Paléo offre une place importante aux protéines d’origine animale. Or des apports élevés en viande rouge pourraient être associés à un risque accru de cancer colorectal (IARC).
Ce régime surfe sur la vague médiatique anti gluten, anti-produits laitiers et contre les produits transformés.
Une étude néerlandaise sur 4 semaines d’intervention (paléo versus régime suivant les recommandations Néerlandaises nationales de nutrition) a constaté que le coût était significativement plus important (Genoni et al. 2016). L’adhérence et le coût de ce régime pourraient être des freins à la mise en place de ce régime. Comme ce régime repose sur les produits frais, cela demande du temps et de savoir cuisiner.
Un argument des défenseurs de ce régime est le côté « historique et naturel » (alimentation non transformée) venant du Paléolithique, mais il est difficile de comparer ce régime à aujourd’hui parce que les modes de vie étaient complètement différents, d’une autre époque !
Par ailleurs, si vous consommez de la viande ou du poisson cru, il faut faire attention aux éventuelles contaminations microbiennes ou/et intoxications possibles. Ces préparations peuvent contenir des organismes pathogènes comme des salmonelles ou des Campylobacters voire du tenia (ver solitaire). Ils apparaissent toujours à la suite d’une contamination externe de la viande. L’hygiène à l’abattage et lors de la préparation est donc primordiale !
Questions en suspense :
Quelles sont les possibles déficiences nutritionnelles (en particulier en calcium, vitamine D) si l’on suit le régime paléo pendant plus d’un an en particulier pour les groupes à risque (enfants, personnes atteintes d’ostéoporose) ?
Quels sont les effets sur la santé sur le long terme d’exclure des catégories entières d’aliments si le régime n’est pas construit avec l’aide d’un diététicien ou professionnel de santé ?
Pour le moment ce régime ne peut pas être recommandé compte tenu du manque d’études scientifiques.
Mais on peut cependant :
- ajouter plus de produits frais dans notre régime en particulier les fruits et les légumes
- moins consommer des produits très transformés (pizza, biscuits, glace, plats préparés…)
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Source:
Eaton et al. Paleolithic Nutrition — A Consideration of Its Nature and Current Implications. N Engl J Med 1985; 312:283-289
Manousou et al. A Paleolithic-type diet results in iodine deficiency: a 2-year randomized trial in postmenopausal obese women. Eur J Clin Nutr. 2018 Jan;72(1):124-129. doi: 10.1038/ejcn.2017
Mellberg et al. Long-term effects of a Palaeolithic-type diet in obese postmenopausal women: a two-year randomized trial. Eur J Clin Nutr. 2014 Mar; 68(3): 350–357
Manheimer et al. Paleolithic nutrition for metabolic syndrome: systematic review and meta-analysis. Am J Clin Nutr. 2015 Oct;102(4):922-32.
Otten et al. Strong and persistent effect on liver fat with a Paleolithic diet during a two-year intervention. Int J Obes (Lond). 2016 May;40(5):747-53
Pastore et al. Paleolithic nutrition improves plasma lipid concentrations of hypercholesterolemic adults to a greater extent than traditional heart-healthy dietary recommendations. Nutr Res. 2015 Jun;35(6):474-9. doi: 10.1016/j.nutres.2015.05.002.
Jönsson et al. Beneficial effects of a Paleolithic diet on cardiovascular risk factors in type 2 diabetes: a randomized cross-over pilot study. Cardiovasc Diabetol. 2009 Jul 16;8:35. doi: 10.1186/1475-2840-8-35.
Henry et al. The diet of Australopithecus sediba. Nature volume 487, pages 90–93 (05 July 2012)
Schwingshackl et al. Comparative effects of different dietary approaches on blood pressure in hypertensive and pre-hypertensive patients: A systematic review and network meta-analysis. Crit Rev Food Sci Nutr. 2018 May 2:1-14. doi: 10.1080/10408398.2018.146396
Michael C. Latham. LA NUTRITION DANS LES PAYS EN DÉVELOPPEMENT. http://www.fao.org/docrep/004/w0073f/w0073f11.htm
Genoni et al. Compliance, Palatability and Feasibility of PALEOLITHIC and Australian Guide to Healthy Eating Diets in Healthy Women: A 4-Week Dietary Intervention. Nutrients. 2016 Aug 6;8(8). pii: E481. doi: 10.3390/nu8080481.
Otten et al. Strong and persistent effect on liver fat with a Paleolithic diet during a two-year intervention. Int J Obes (Lond). 2016 May;40(5):747-53. doi: 10.1038/ijo.2016.4. Epub 2016 Jan 20.
Cordain L. The nutritional characteristics of a contemporary diet based upon Paleolithic food groups. Journal of the American Nutraceutical Association. 2002;5(3):15-24.
AVIS de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail relatif à « la troisième étude individuelle nationale des consommations alimentaires (Etude INCA3) ». https://www.anses.fr/fr/system/files/NUT2014SA0234Ra.pdf
Konner et al. Paleolithic nutrition: twenty-five years later. Nutr Clin Pract. 2010 Dec;25(6):594-602
« Un argument des défenseurs de ce régime est le côté « historique et naturel » (alimentation non transformée) venant du Paléolithique, mais à cette époque, l’espérance de vie était beaucoup plus faible. »
Je ne suis pas spécialement pour les régimes paléo mais suggérer un lien de causalité à ce niveau-là est particulièrement spécieux. Il devait y avoir bien d’autres pressions mortifères autres que la non transformation [industrielle] des aliments…
Merci pour votre commentaire. Je vais corriger, c’était un abus de pensée/langage, je voulais simplement dire qu’énoncer que le régime est historique et naturel ne veut pas forcément dire qu’il est bon pour la santé. En effet, c’est évident que le fait que la médecine soit inexistante, l’hygiène complètement différente ainsi que les régimes alimentaires et mode de vie global complètement différents expliquent une espérance de vie plus faible.
Peut-on évaluer scientifiquement un comportement humain tel qu’un régime alimentaire dans sa globalité ? Il y a tellement de facteurs et tellement de métriques, que cela paraît bien difficile de dire « c’est bien ou c’est mal », comme vous semblez vouloir le faire.
Bon courage 🙂