Alimentation ultra-transformée en France (Enquête INCA 3), qualité nutritionnelle, protéines végétales et risques cardiométaboliques
L’industrialisation des systèmes alimentaires dans les pays développés a engendré des modifications importantes dans les habitudes alimentaires aboutissant à un degré de transformation plus important mais également à une plus grande disponibilité des produits, une production de masse et un niveau de sécurité alimentaire plus élevé. En 2009 a été développée une classification dite NOVA se basant sur le degré de transformation des aliments (et non sur leur composition nutritionnelle). Une récente étude (Salomé 2021) française a montré à partir des données de l’enquête nationale INCA 3 que les grands consommateurs d’aliments peu transformés consomment plus de protéines animales, ont un degré de diversité pour les protéines végétales plus important et ont un risque cardiométabolique plus faible.
Qu’est-ce que les aliments ultra-transformés ?
Cette classification reconnue par la FAO et l’Organisation Pan-Américaine de la Santé (PAHO) se compose de 4 catégories définies par les processus de transformation alimentaire :
- Aliments frais ou peu transformés (‘minimally processed’) : des aliments frais ou modifiés par des procédés comme le retrait des parties non comestibles, le séchage, le concassage, le broyage, la pasteurisation, la réfrigération, la congélation, l’emballage sous vide (des procédés qui permettent de prolonger la durée de vie). Aucun de ces produits ne comporte de substances ajoutées. On retrouve par exemple les fruits, les légumes et les légumineuses frais, séchés ou congelés, la viande coupée et emballée, le lait pasteurisé, le yogourt nature, les œufs, le riz, le maïs, les pâtes…
- Ingrédients culinaires transformés (‘food ingredient’) : les substances extraites du groupe 1 par pressage, meulage ou raffinage ou broyage. Ils comprennent les condiments, les amidons, le beurre et les huiles végétales
- Aliments transformés (‘processed food’) : ce sont des produits simples fabriqués avec des aliments du groupe 1 avec ajout de substances du groupe 2 (sel, huile, sucre…). Ce groupe comprend les aliments en conserve, les aliments fumés, les fromages, les pains. Le but d’obtenir des aliments transformés est d’augmenter la durée de vie des aliments du groupe 1 ou modifier leurs qualités organoleptiques.
- Aliments hautement transformés (‘ultraprocessed food’) : des produits avec des formulations industrielles qui comportent plus de 4 ou 5 ingrédients. Ces aliments peuvent comporter des additifs alimentaires, des protéines hydrolysées, des amidons modifiés et/ou des huiles hydrogénées. Un aliment hautement transformé est un produit qui est hyper palatable, souvent peu coûteux, facile à consommer. Ces produits sont généralement énergétiquement denses, riches en sucres ajoutés, en sel et matières grasses.
Je vous mets un exemple visuel pour les produits à base de viande classés selon NOVA :
Les liens avec la santé
En France, l’étude Nationale Nutrition Santé (ENNS 2006) sur 2 642 participants représentatifs de la population français a identifié que la consommation d’aliments ultra-transformés représente 31% des apports énergétiques totaux moyens (Andrade 2021). Plusieurs études observationnelles ont constaté un lien entre la consommation d’aliments ultra-transformés et une moins bonne qualité nutritionnelle du régime ainsi qu’une augmentation du risque d’obésité, d’hypertension (Mendonca et al. 2016, 2017) ou de certains cancers (Fiolet 2018). Un essai randomisé contrôlé (Hall 2019) comparant un régime peu transformé vs ultra-transformé a montré que manger ultra-transformé résulte en des apports énergétiques plus importants (+500 kcal) et un gain de poids à court terme de 0,9 kg.
Au final, plusieurs méta-analyses et revues systématiques de la littérature ont constaté que la consommation d’aliments ultra-transformés était associée à un risque accru d’obésité, de troubles métaboliques et de mortalité toute-cause (Askari 2020, Lane 2020, Pagliai 2021). Une des hypothèses expliquant ces relations statistiques sont que les aliments ultra-transformés sont souvent de moins bonne qualité nutritionnelle (Steele 2017). Par exemple, dans cette illustration du guide du ministère de la santé de l’Uruguay, on voit que les nuggets sont de moins bonne qualité nutritionnelle que la viande non transformée :

Une étude (Salomé 2021) menée par des chercheurs d’AgroParisTech et de l’ANSES a utilisé les données de consommation alimentaire de l’enquête française INCA3 pour voir si une consommation accrue d’aliments frais/peu transformés ou d’aliments ultra-transformés (AUT) avait un impact sur la qualité nutritionnelle du régime, la consommation d’aliments végétaux sains ou malsains et la mortalité.
Méthodes de l’étude
L’enquête INCA3 a été conduite en 2014-2015 chez 2 121 adultes âgés de 18-79 ans et a la spécificité d’être représentative de la population générale française. Les consommations alimentaires déclarés lors de 3 rappels de 24h ont été classées selon la classification NOVA. Deux scores évaluant la qualité nutritionnelle d’un régime à base de produits végétaux ont été utilisés :
- hPDI (healthful plant-based diet index) est un indice qui augmente avec la consommation de produits végétaux bons pour la santé (céréales complètes, légumineuses, fruits, légumes, huiles végétales, thé, café…)
- uPDI (unhealthful plant-based diet index) est un indice qui donne plus de points aux aliments végétaux mauvais pour la santé (jus de fruits, boissons sucrées, céréales rafféines, féculents, desserts/produits végétaux sucrés…)

Un score PANDiet allant de 0 à 100 a été utilisé pour évaluer la qualité nutritionnelle du régime. L’indice de Berry pour les produits animaux BI-ABF et pour les produits végétaux BI-PBF a été utilisé pour évaluer la diversité alimentaire.
Que consomment les français dans l’enquête INCA3 ?
Dans l’enquête INCA3, les aliments ultra-transformés contribuaient à 30,6% des apports énergétiques, 25% pour les produits transformés et 33% pour les produits non-transformés. Les grands consommateurs d’aliments ultra-transformés étaient plus jeunes (moins de 35 ans). Il n’y avait pas de différences par rapport au sexe.
Régime d’aliments frais/peu transformé
Les consommateurs qui adhéraient plus à un régime non/peu transformé (vs ceux qui en consomment moins en Tertile T1) consommaient plus de protéines animales 61g/j (vs 51g/j) et de protéines végétales (26,4g/j vs 25,7 g/j). La part de protéines végétales par rapport aux apports totaux protéiques était plus faible (31,2% vs 35%). Ils consommaient plus de soupes (+53%), de fruits à coque (+50%) et huiles végétales, de fruits (+36%), de produits animaux frais (+37% de poissons ; +32% de volaille) et moins de charcuterie (-39%).
Chez les grands consommateurs d’aliments frais/peu transformés, la part d’apports en protéines végétales provenant des céréales raffinés diminue au profit d’aliments végétaux plus sains et la diversité alimentaire pour ces sources de protéines végétales était plus importante (indice de Berry BI-PBF).

Régime d’aliments ultra-transformé
Les plus grands consommateurs d’aliments ultra-transformés (vs ceux qui en consomment moins) avait des apports en protéines végétales plus basses (24g/j contribuant à 32,3% des apports totaux protéiques vs 28g/j contribuant à 35,3% aux apports totaux protéiques). L’apport en protéines animales ne variait pas selon les consommateurs d’AUT. Ils consommaient plus de charcuteries (+23%), de boissons sucrées (+70%), de céréales petit-déjeuner (+63%), des pâtisseries (+59%), de bonbons et de chocolats (+39%) et de jus de fruits (+34%).
Chez les grands consommateurs d’aliments frais/peu transformés, la part d’apports en protéines végétales provenant des céréales entières, de légumineuses, de pommes de terre, de fruits diminue.

Qualité nutritionnelle et degré de transformation alimentaire
Les auteurs ont évalué le lien entre le degré de transformation alimentaire et l’adéquation nutritionnelle du régime en utilisant l’indicateur PANDiet. Une augmentation de la consommation d’aliments ultra-transformé (passer du tertile 1 au tertile 3 des consommateurs) ou transformé était associé à une diminution de la qualité nutritionnelle avec un score PANDiet plus bas (moins bonne adéquation nutritionnelle au régime). On a la relation inverse avec une augmentation de la part d’aliments peu transformés dans le régime et une meilleure adéquation nutritionnelle.

Quand la consommation d’aliments ultra-transformés augmentait, la consommation d’aliments d’origine végétale mauvais pour la santé (score uPDI) augmentait et inversement la consommation d’aliments végétaux sains (hPDI) diminuait.

Consommer plus d’aliments non-transformés ou peu transformés pourrait potentiellement prévenir 25% de décès associés à des maladies cérébrovasculaires, 19% de décès associés au diabète d’après une analyse de modélisation.

Les limites de l’étude sont l’utilisation de la classification NOVA qui contient de larges catégories. La classification NOVA a été critiquée sur les définitions de ses 4 groupes engendrant des difficultés de classification. Dans les bases de données de consommation alimentaire, on peut également manquer de précisions et d’informations en terme d’ingrédients/processus de transformation pour les classer. C’est également une étude observationnelle ce qui empêche de conclure à la causalité.
En bref, les consommations d’aliments ultra-transformés ont un régime alimentaire de moins bonne qualité nutritionnelle, avec une consommation plus importante d’aliments d’origine végétaux malsains. Les modèles montrent également que substituer les aliments frais/peu transformés par des aliments ultra-transformés a un effet délétère sur la qualité nutritionnelle du régime.
Si vous souhaitez en apprendre plus sur les aliments ultra-transformés, n’hésitez pas à regarder ma vidéo sur le sujet :
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Sources :
Salomé M, Arrazat L, Wang J, Dufour A, Dubuisson C, Volatier JL, Huneau JF, Mariotti F. Contrary to ultra-processed foods, the consumption of unprocessed or minimally processed foods is associated with favorable patterns of protein intake, diet quality and lower cardiometabolic risk in French adults (INCA3). Eur J Nutr. 2021 May 8. doi: 10.1007/s00394-021-02576-2. Epub ahead of print. PMID: 33966096.