Grenade, jus de fruits et antioxydants : réellement un superfruit ?
La grenade est un fruit tendance grâce à son côté exotique et en particulier sa haute teneur en antioxydants. Les antioxydants sont des nutriments ‘bioactifs’ auxquels certains confèrent des propriétés anti-vieillissement, réduction du risque des maladies cardiovasculaires … Dans les magasins, on peut voir fleurir des allégations « superfruits » sur les bouteilles de jus de grenade (également de cranberry ou myrtilles). Cependant, sur quelles preuves scientifiques sont fondés ces bénéfices santé supposés ? Quelle est la composition nutritionnelle de la grenade et des jus de grenade sur le marché (en bas, une comparaison des prix et des listes d’ingrédients également) ?
En 2012, la marque américaine de jus de grenade POM Wondeful avait été condamnée par le Federal Trade Commission (FTC : jugement ici), organisme américain chargé de la concurrence, pour allégations publicitaires trompeuses sur la réduction de risque cardiovasculaire, du cancer de la prostate et du dysfonctionnement érectile. Les études présentées par POM étaient insuffisantes au niveau méthodologique (pas de double aveugle ou pas de contrôle) et donc elles ne démontraient pas que le jus de grenade POM était plus efficace qu’un placébo.
La grenade, un fruit divin
La grenade était dans l’Egypte ancienne un symbole de fertilité à cause de sa forme ronde et l’abondance de ses graines.
Dans la mythologie grecque, elle fut représentée comme la pomme de la discorde que Paris donna à Aphrodite (Vénus). Cette pomme devait être donnée à la plus belle et était convoitée par 3 déesses.
Dans un autre mythe, Perséphone, fille de Zeus a été enlevée par Hadès, le dieu des enfers. Pour retourner à la surface, Perséphone ne devait pas avoir goûté à la nourriture des enfers, or elle avait mangé 6 grains de grenade après une période de jeûne. Elle fut donc condamnée à rester 6 mois en enfer et 6 mois sur Terre chaque année, ce qui reproduit l’alternance de l’été et de l’hiver.
Dans d’autres religions, elle représente le symbole des passions.
Originaire d’Iran depuis plus de 4000 ans, la grenade est cultivée principalement au Moyen-Orient, mais également en Méditerranée. L’Inde est le plus grand producteur mondial de grenade, puis arrivent l’Iran, les États-Unis, la Turquie, l’Espagne. C’est un fruit rafraîchissant et ancien, connu dans le bassin méditerranéen pour son goût, sa touche d’exotisme et ses bienfaits. Actuellement, la grenade connaît un regain de popularité pour ses propriétés supposées de bien-être, anti-âge, antioxydants…
Les caractéristiques nutritionnelles de la grenade
Elle pèse entre 200g et 400g environ. Plus le fruit est lourd, plus les graines seront juteuses. L’écorce doit être lisse et brillante, pas trop desséchée. Elle peut se conserver une dizaine de jours à l’air libre.
Ce fruit rouge-orangé contient de nombreuses graines charnues, c’est-à-dire enveloppée d’une pulpe rose sucrée, acidulée et juteuse. Elle est disponible d’octobre à mars. Environ 50% du fruit est mangeable. La grenade contient des arilles (des enveloppes charnus de graines). Ces arilles contiennent 85% d’eau, 10% de fructose et glucose et des acides organiques (acides ascorbique, citrique, malique). Elle contient des nutriments « bioactifs » : les polyphénols.
La grenade est souvent consommée sous forme de jus extrait des arilles ou commercial. La composition nutritionnelle du jus de grenade dépend des méthodes de culture, des conditions climatiques, des méthodes d’extraction du jus et de la maturité du fruit. Les jus de fruits commerciaux contiennent souvent du sucre ajouté.
D’après l’ANSES, 100g de grenade fournit 70kcal, 1g de protéines, 13,6g de glucides (dont 13,6g de sucres), 0,557g de lipides, 2,27g de fibres. Ce fruit est riche en eau. Il apporte principalement des glucides sous forme de sucres. Voici un diagramme interactif résumant les proportions de ses principaux constituants :
Les principales vitamines apportées sont B6, B9, C et K1 (en vert) . La grenade est pauvre en éléments minéraux excepté pour le cuivre (11% de la VNR) et le manganèse (6% de la VNR). Les données viennent de la table CIQUAL de l’ANSES.
Les antioxydants, « miracles » de la grenade
Le grenade, sources de polyphénols est devenue populaire pour ses teneurs élevées en antioxydants. La grenade n’est pas une très bonne source de vitamine C (acide ascorbique, également un antioxydant) en comparaison au poivron ou aux agrumes, mais c’est une bonne source de composés phénoliques.
Les polyphénols ont beaucoup été étudiés pour leurs propriétés anti-oxydantes. La grenade (Prunus granatum) contient des acides phénoliques, des tanins (acides ellagique, punicalagine), des flavonols, des anthocyanes (qui donnent la couleur rouge).
Qu’est-ce qu’un antioxydant ?
Un antioxydant est une molécule qui diminue ou empêche l’oxydation d’autres substances chimiques. Il peut se « sacrifier » en réagissant avec les espèces réactives à l’oxygène (= stress oxydatif) pour arrêter les réactions en chaînes d’oxydation radicalaire. Le stress oxydant peut endommager les constituants cellulaires comme l’ADN ou les protéines. Il existe des antioxydants endogènes (enzymes catalase, peroxidase…) et exogènes (caroténoïdes, polyphénols…).
De nombreuses expériences in vitro ont montré que les antioxydants peuvent prévenir le développement de maladies chroniques.
Des chercheurs suspectent un lien entre les maladies cardiovasculaires et les antioxydants puisqu’ils limitent l’oxydation des lipides : dans l’athérogenèse, les LDL sont oxydés ce qui provoque des dommages aux cellules (inflammation). Les antioxydants pourraient prévenir cette oxydation des LDL. Les avis des dernières études divergent :
- La méta-analyse de Bjelakovic regroupant 232 606 participants et 68 études randomisées a conclu que la supplémentation en vitamines A et E (antioxydants) pourrait augmenter la mortalité tout cause confondue.
- L’étude SUVIMAX, SUppléments en VItamines et Minéraux AntioXidants a montré que chez les Hommes seulement la prise de capsules de compléments alimentaires antioxydants a réduit de 31% le risque de tous types de cancer.
Quels antioxydants dans la grenade ?
La peau de la grenade contient surtout de l’acide de punicalagine (tannin). Les arilles fraîches contiennent des anthocyanes, de l’acide ellagique et des phyto-œstrogène flavonoïdes. Le jus de grenade par rapport à d’autres fruits a un pouvoir antioxydant élevé (TAC=Total antioxydant capacity est mesuré avec le pouvoir de réduction du fer Ferric reducing antioxydant power FRAP).
Des études in vitro (Seeram et al. 2005) ont montré que le jus de grenade pourrait avoir un effet anti-prolifération cellulaire (utile contre le cancer).
Banafshe Hosseini a étudié l’effet d’une supplémentation en extraits de grenade sur 48 individus en surpoids ou obèses pendant 30 jours. L’étude a conclu que la consommation de grenade pourrait aider à réduire les complications liées à l’obésité (attention, cette étude cible bien des personnes avec un état physiologique bien particulier : en surpoids ou obèses !).
La méta-analyse (regroupant 12 essais contrôlés randomisés) de Amirhossein Sahebkar a conclu qu’il n’y avait pas d’associations entre la consommation journalière de jus de grenade et le taux de cholestérol plasmatique. Petit bémol : il n’y avait que 545 individus sur ces 12 études. Une autre étude a regardé l’effet de la consommation de jus de grenade versus un soda sur la pression artérielle, ils ont observé une diminution significative des pressions diastolique et systolique dans le groupe d’intervention (qui a reçu le jus de grenade). Cependant, tous ces beaux bénéfices santés sont à nuancer et ne font pas consensus.
Le jus de grenade, pas si super que ça…
Voici les allégations santé que l’EFSA a refusé pour le jus de grenade :
- antioxydants et effets anti-vieillissement
- protection de l’oxydation des lipides
- maintien d’une fonction érectile normale
- maintien d’une cholestérolémie normale
L’EFSA estime que les polyphénols ne sont pas assez étudiés, seuls l’acide ellagique et de punicalagine sont assez caractérisés. Elle pointe aussi le manque de preuves scientifiques ou d’effets significatifs.
Les principales limites des études sur ce “super-aliment » et ses antioxydants sont :
- le taux élevé de nutriment utilisé, qui diffère souvent de l’apport usuel dans le contexte d’un régime alimentaire normal
- la méthode d’enquête et le niveau de preuve : il est plus facile de démontrer des mécanismes physiologiques d’action : effet de tel nutriment sur un paramètre physiologique sur des expériences in vitro (sur des cellules isolées) ou sur des animaux. Mais ces études ne sont pas forcément extrapolables à l’Homme et d’ailleurs les études d’intervention humaines ont tendance à montrer que le jus de grenade n’avait pas d’effet significatif sur la santé.
- la population d’étude et sa taille : les obèses, les patients diabétiques ne sont pas représentatifs de la population générale. La faible taille de l’échantillon diminue la puissance statistique des études.
- L’étude d’un aliment de manière isolé occulte les effets synergiques et les interactions entre aliments/nutriments. Nous consommons des combinaisons d’aliments au sein d’un régime global et pas un aliment unique.
Au final, le niveau de preuve scientifique sur les effets bénéfiques du jus de grenade est assez faible. Le concept de grenade comme super-fruit est surtout marketing, manger simplement régulièrement des pommes ou des carottes apportera autant de « bons nutriments » que la grenade ou les myrtilles…
Et sur le marché actuel ?

En pratique …
Sources:
Peter C. Wootton-Beard, Lisa Ryan – Improving public health?: The role of antioxidant-rich fruit and vegetable beverages – Food Research International 44 (2011) 3135–3148
R.R. Mphahlele, O.A. Fawole, L.M.Mokwena, Umezuruike Linus Opara – Effect of extraction method on chemical, volatile composition and antioxidant properties of pomegranate juice – South African Journal of Botany 103 (2016) 135–144
Peter C. Wootton-Beard, Lisa Ryan – Improving public health?: The role of antioxidant-rich fruit and vegetable beverages – Food Research International 44 (2011) 3135–3148
Amirhossein Sahebkar, Luis E.S imental-Mendía, Paolo Giorgini ,Claudio Ferri, Davide Grassi – Lipid profile changes after pomegranate consumption:A systematic review and meta-analysis of randomized controlled trials
Banafshe Hosseini, Ahmad Saedisomeolia et al. – Effects of pomegranate extract supplementation on inflammation in overweight and obese individuals: A randomized controlled clinical trial – Complementary Therapies in Clinical Practice 22 (2016) 44e50
Scientific Opinion on the substantiation of health claims related to pomegranate/pomegranate juice Article 13(1) of Regulation (EC) No 1924/20061 – EFSA Journal 2010;8(10):1750
Federeal Trade Commission – Some Health Claims for PomegranateProducts Were False and Not Supported by Scientific Evidence (21 Mai 2012) https://www.ftc.gov/news-events/press-releases/2012/05/administrative-law-judge-upholds-ftcs-complaint-pom-deceptively
Table CIQUAL de l’ANSES
Etude SUIVIMAX : http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/15557412?dopt=abstractplus