Alimentation bio et mycotoxines : est-ce que les produits bio sont plus contaminés qu’en agriculture conventionnelle ?
Les mycotoxines sont des substances toxiques « naturelles » issues des moisissures qui existent sans doute depuis le début de l’agriculture (FAO). Dans l’agriculture biologique, les fongicides de synthèse (des intrants contre les champignons microscopiques) sont interdits, ce qui pourrait laisser penser à une contamination plus importante qu’en agriculture conventionnelle. Il y a 10 jours (le 20 août 2019), il y avait eu également un rappel de produit pour un mix apéritif non salé 120g de marque Bio Village à cause d’un risque d’aflatoxine (une toxine de moisissure). Cependant, les études sur les niveaux de contamination en mycotoxines des produits agricoles semblent dire qu’il n’y a pas de différence.
Des contaminants alimentaires anciens

Les mycotoxines sont des contaminants qui existent depuis le début de l’agriculture. Dès le 11ème siècle, des intoxications à l’ergot de seigle ont été décrites comme la maladie du feu Saint-Antoine ou le mal des ardents. Ce n’est qu’au 17ème siècle que l’on a compris que ces pathologies provenaient de l’alimentation et d’un champignon : l’ergot du seigle, Claviceps purpurea. Cette moisissure produit des alcaloïdes toxiques (ergométrine, ergotamine…). Les symptômes de cette intoxication comprennent des vomissements, de la diarrhée, des douleurs musculaire, une soif intense, une fonction mentale réduite et des des vésicules cutanées ischémiques sur les mains ou les pieds. On parle d’ergotisme.
La nuit du 16 août 1951 dans le village de Pont Saint-Esprit (Gard) est décrite comme une nuit d’apocalypse avec 5 décès et de nombreuses victimes d’hallucinations, de maux de tête, des vomissements…. Une contamination du pain d’une boulangerie par l’ergot de seigle, une mycotoxine, a été suspectée.
Que sont les mycotoxines ?
Ce sont des composés toxiques pour l’homme et les animaux, issues du métabolisme secondaire de moisissures (des champignons microscopiques tels que Aspergillus, Penicillium et Fusarium). Elles se développent sur les champs ou pendant le stockage. Environ 300 composés ont été identifiés mais seulement une trentaine de mycotoxines sont préoccupantes. Elles ont des structures chimiques très variables mais peuvent être classées en plusieurs familles : aflatoxines, fumonisines, ochratoxines, trichothécènes, patuline et zéaralénone.

Les moisissures apparaissent dans des conditions humides, certaines températures et en présence d’un inoculum (poussières, débris végétaux, grains moisis, particules du sol…) qui apportent des spores de champignon appelées conidies. Le substrat et la souche des moisissures influencent également le production de mycotoxines.
Où retrouve-t-on des mycotoxines ?
Les mycotoxines peuvent être trouvées dans :
- les céréales et produits céréaliers dérivés (fusariotoxines, aflatoxines, ochratoxine A (OTA)
- les fruits et légumes (la patuline dans le jus de pomme ou l’alternarol dans les jus de légumes et fruits), les fruits secs (aflatoxine, OTA)
- les aliments pour les animaux
- les produits d’origine animale : dans le lait (AFM1) et les rognons et boudins (OTA)
- les épices, le café et le cacao (OTA, aflatoxines)

Les mycotoxines sont toxiques à court terme (exemple avec l’ergotisme, le feu de Saint Antoine) mais des intoxications aigües sont peu probables en France de nos jours. Les intoxications aigües provoquent des maux de tête, des nausées, des vomissements, des faiblesses, des convulsions, des tremblements voire la mort.
La toxicité à long terme porte sur le développement de cancers, de la reprotoxicité, de la neurotoxicité et de l’immunomodulation. Les mycotoxines sont des substances très stables et quasi impossibles à éliminer des aliments par des traitements.
Exemple des aflatoxines
Les aflatoxines sont les mycotoxines les plus étudiées que l’on trouve sous quatre formes principales : aflatoxines B1 (AFB1), B2 (AFB2), G1 (AFG1) et G2 (AFG2). Elles sont produites par le champignon Aspergillus. La toxine AFB1 peut par exemple se fixer sur l’ADN après sa métabolisation en époxyde au niveau des cellules du foie. Elle provoque la mort des cellules ou la transformation en cellules cancéreuses et induire l’apparition d’hépatocacinomes. C’est pourquoi l’AFB1 est classée dans le groupe 1 de l’IARC. L’exposition à cette aflatoxine est associée à une augmentation du nombre de mutation somatiques au codon 249 de la protéine P53, qui régule le cycle cellulaire (transversion G:C->T:A) (Mougdil 2013). Entre 25 200 et 155 000 nouveaux cas de cancer du foie seraient attribuables à cette aflatoxine dans le monde chaque année. Le règlement (CE) n°1881/2006 limite les résidus d’aflatoxine B1 à 4 µg/kg d’aliments.
Agriculture bio et mycotoxines
Qu’est-ce que l’agriculture bio en Europe ?
La réglementation de l’agriculture biologique est encadrée par le règlement européen : RÈGLEMENT (CE) N°834/2007 et complétée par le règlement d’application n° 889/2008 relatif à la production biologique et à l’étiquetage des produits biologiques en ce qui concerne la production biologique, l’étiquetage et les contrôles.
En agriculture biologique, les fongicides (contre les champignons) de synthèse sont interdits. L’annexe II du règlement n°889/2008 liste l’ensemble des substances actives des produits phytopharmaceutiques qui sont autorisés en Agriculture Bio dans le cadre de la protection des cultures. Il s’agit d’une liste positive car les substances actives non présentes sur cette annexe ne sont pas autorisées en Agriculture Biologique.
Certains fongicides sont autorisés dans le bio tels que certains produits de bio-contrôles (des micro-organismes). Voici quelques exemples :
- La bactérie Bacillus amylolique faciens subsp. plantarum souche D747 est une substance active fongicide et bactériostatique. Elle agit principalement comme antagoniste sur les pathogènes, mais joue également un rôle de stimulateur des défenses des plantes.
- Gliocladium catenulatum J1446 a une forte capacité à coloniser les racines, le feuillage et les fleurs et repousse les pathogènes par compétition de l’espace
- des fongicides minéraux : oxyde de cuivre, sulfate de cuivre, soufre micronisé, bicarbonate de potassium. L’usage de substances à base de cuivre est questionnable. L’Autorité Européenne de Sécurité Alimentaire (2017) avait rendu un avis négatif pointant des lacunes dans les données sur les risques pour les mammifères, les organismes aquatiques, les abeilles et les autres arthropodes non ciblés, les vers de terre et les autres macro-organismes du sol pour les fongicides à base de cuivre.
Comme l’usage des fongicides est limité dans le bio, on peut lire sur le web « le bio est donc plus contaminé en mycotoxines que les aliments d’agriculture conventionnelle. »
Est-ce que le bio est plus contaminé que le conventionnel ?
J’ai regardé les derniers avis scientifiques de l’Autorité Européenne de Sécurité Alimentaire (EFSA) pour différentes mycotoxines, les conclusions sur la comparaison bio/non bio sont les suivantes :
- Il est impossible de conclure pour les sterigmatocystines, les beauvericines, les enniatines, le nivalénol et les alcaloïdes de l’ergot

- les niveaux de contamination pour le zéaralénone sont similaires pour les deux modes d’agriculture
- pour la somme des toxines T-2 et HT-2, le bio est légèrement moins contaminé

Néanmoins il faut souligner l’hétérogénéité des données en terme d’année d’échantillonnage, de lieu d’échantillonnage et de saison, le faible nombre d’échantillon où le mode de production a été rapporté. Tout cela rend difficile la comparaison des analyses bio/non bio. Le mode de production dans les données de l’EFSA n’est pas souvent rapporté et une hypothèse a été faite : que les échantillons dont la méthode de production n’a pas été rapportée sont considérés comme conventionnels.
Par ailleurs, quand on regarde les analyses de la DGCCRF, le taux de non conformité semble similaire entre produits bio et non bio : https://www.economie.gouv.fr/dgccrf/contamination-des-denrees-alimentaires-par-mycotoxines-0
Dans cette étude italienne (Lazzaro 2015), l’incidence de Fusarium spp. était semblable dans les blés conventionnel et organique mais l’incidence de Fusarium verticillioides était significativement plus élevée dans le maïs biologique que dans le maïs conventionnel.
Pour finir, l’explication serait que la contamination en mycotoxines dépend surtout des conditions climatiques (température, humidité) ainsi que des bonnes pratiques d’alimentation animale, de stockage/transport et moins du mode de production.

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Source :
Merhoff et al. Ergot Intoxication: Historical Review and Description of Unusual Clinical Manifestations. Ann Surg. 1974 Nov; 180(5): 773–77
Mougdil et al. A review of molecular mechanisms in the development of hepatocellular carcinoma by aflatoxin and hepatitis B and C viruses. J Environ Pathol Toxicol Oncol. 2013;32(2):165-75
Liu et al. Global burden of aflatoxin-induced hepatocellular carcinoma: a risk assessment. Environ Health Perspect. 2010 Jun;118(6):818-24. doi: 10.1289/ehp.0901388
Tola, M., & Kebede, B. (2016). Occurrence, importance and control of mycotoxins: A review. Cogent Food & Agriculture, 2(1)
Mannaa, M., & Kim, K. D. (2017). Influence of Temperature and Water Activity on Deleterious Fungi and Mycotoxin Production during Grain Storage. Mycobiology, 45(4), 240–254.
FAO. FOOD SAFETY AND QUALITY AS AFFECTED BY ORGANIC FARMING. PORTO, PORTUGAL, 24-28 JULY 2000 http://www.fao.org/3/X4983E/X4983E.htm#c3
Brodal et al. Mycotoxins in organically versus conventionally produced cereal grains and some other crops in temperate regions. World Mycotoxin Journal, 2016; 9 (5): 755-770 https://www.wageningenacademic.com/doi/pdf/10.3920/WMJ2016.2040
EFSA. Panel Contam. Scientific opinions : https://www.efsa.europa.eu/fr/publications
EFSA. Conclusion on the peer review of the pesticide risk assessment of the active substance copper compounds copper(I), copper(II) variants namely copper hydroxide, copper oxychloride, tribasic copper sulfate, copper(I) oxide, Bordeaux mixture. EFSA Journal 2018;16(1):5152, 25 pp
Merci pour ces éléments de recherches. C’est effectivement un argument que l’on retrouve souvent. J’ai moi-même du l’employer pour titiller des tenants du « bio » (c’était assez amusant mais tant pis, à cause de vous ce n’est plus possible).
Il y a aussi, dans la même veine, l’argument du Datura (qui serait une plaie pour l’agriculture « biologique »). Sauf qu’un article très complet dans The Conversation sur le sujet n’aborde à aucun moment une quelconque spécificité de l’agriculture « biologique » concernant le Datura.