Acrylamide, contaminant génotoxique et cancérigène : des astuces pour réduire son niveau d’exposition à la maison
L’acrylamide est un contaminant alimentaire. C’est seulement en 2002 qu’on découvre qu’il apparaît lors de la cuisson à haute température dans certains aliments. Il fait parti des composés dits néoformés (comme les nitrosamines, l’acroléine ou les amines aromatiques hétérocycliques…).
Le principal danger de ce composé est son caractère cancérigène et génotoxique d’après les études animales. Un agent génotoxique physique ou chimique provoque des anomalies chromosomiques ou géniques dans l’ADN, notre information génétique.
Origine de l’acrylamide dans les aliments : la cuisson
En 2002, l’Agence Suédoises Nationale des aliments (Swedish National Food Administration) a identifié de l’acrylamide à des niveaux modérés dans des produits riches en protéines (viandes principalement) autour de 5-50 µg/kg et des niveaux élevés dans les aliments cuits riches en glucides de 150 à 4 000 µg/kg. La teneur en acrylamide augmentait avec la température de cuisson pour les frites. A 100°C, les frites contenaient 172 µg d’acrylamide/kg alors qu’à 200°C, la valeur était 30 fois plus importante avec une valeur de 3 479 µg/kg.
Depuis 2007, la Commission européenne a mis en place des plans de surveillance du taux d’acrylamide dans les denrées alimentaires. Le règlement (UE) 2017/2158 de la Commission du 20 novembre 2017 a établi des mesures d’atténuation et des teneurs de référence pour la réduction de la présence d’acrylamide dans les denrées alimentaires.
La réaction de Maillard
L’acrylamide se forme à partir d’aliments riches en sucres réducteurs (glucose, fructose, amidon) et d’acides aminés (asparagine principalement) cuits à haute température (plus de 120°C) et à faible humidité. Il faut avoir en tête que ce contaminant est présent depuis des milliers d’années depuis l’apparition de la cuisson des aliments. Et seuls les modes de cuisson « secs » sont concernés par ce problème : la friture, le grill, la cuisson au four, à la poêle ou le rôtissage. On trouve peu d’acrylamide dans les aliments cuits à l’eau.
Cuire un aliment provoque la réaction de Maillard (brunissement non enzymatique) entre un sucre réducteur et un groupement aminé. Cette réaction chimique donne la couleur brune et des saveurs spécifiques aux aliments cuits peut aboutir à la création d’acrylamide et de pigments bruns (mélanoïdines). Elle peut également former des composés cancérigènes et réduire la valeur nutritionnelle.
Par ailleurs, l’acrylamide peut être également produit industriellement par hydrolyse de l’acrylonitrile pour la fabrication des polyacrylamides comme agent de floculation synthétique (coagulation de particules fines) et d’étanchéification et dans les gels d’électrophorèse. Les polyacrylamides sont utilisés dans la fabrication du papier ou le traitement des eaux.
Où trouve-t-on l’acrylamide dans les aliments ?
Les principales voies d’exposition en population générale sont l’alimentation et la fumée de cigarette. Les principaux aliments contributeurs en acrylamide sont les pommes de terre frites, le pain grillé, les biscuits et le café. Pour le café, on ne peut pas faire grand-chose à la maison puisque l’acrylamide se forme pendant la torréfaction.
En France, l’Etude EAT2 (Etude Alimentation Totale) a identifié de l’acrylamide dans 11% des 192 échantillons testés. Les EAT ont pour but de surveiller l’exposition des populations à des substances chimiques (résidus de pesticides, contaminants, additifs, toxines, éléments traces…) présentes dans les aliments. L’exposition alimentaire a diminué de 14% pour les adultes et 45% pour les enfants par rapport à l’étude EAT de 2005. Cette baisse pourrait être expliquée par la mise en place de mesures chez les industriels de réduction de l’acrylamide et surtout une baisse significative de la consommation de frites et pommes de terres cuites dans l’huile.
L’exposition moyenne journalière de l’échantillon est de 0,43 μg/kg pc pour les adultes et 0,69 μg/kg pour les enfants.
La consommation de pommes de terre sautées correspond à 45% des apports en acrylamide chez les adultes et 61% chez les enfants. Le café correspond à 30% de l’exposition chez les adultes alors que les biscuits contribuent à 19% de l’exposition chez les enfants. L’acrylamide reste une substance pour lequel le risque toxicologique ne peut être écarté.
Comment l’acrylamide est absorbé dans l’organisme ?
La demi-vie de l’acrylamide dans le sang pour l’homme est d’environ 4,5 heures (ANSES).
L’acrylamide ingéré peut être dégradé en conjugaison avec le glutathion sous forme d’acide mercapturique ou de son sulfoxyde. Il peut être oxydé par le CYP2E1 en glycidamide, un composé très réactif, qui peut s’attaquer à l’ADN. Le glycidamide peut être transformé en glycéramide ou conjugué au glutathion et être éliminés dans les urines. Le glutation est un tri-peptide impliqué dans la voie de détoxification. L’acrylamide et le glycidamide peuvent former des adduits avec l’hémoglobine.
Quels sont les potentiels effets sur la santé ?
Une première approche d’évaluation des dangers se base sur les études sur les cellules in vitro ou sur des animaux in vivo. Les animaux sont exposés à des doses importantes en acrylamide pour voir si cela provoque l’apparition de tumeurs ou de problèmes de santé. Ces résultats ne sont pas forcément extrapolable directement aux humains.
La dose létale pour décimer 50% d’une population de souris (DL50) est de 107 mg/kg poids corporel. Les effets toxiques observés dans les études animales (souris, rats, singes, chats, chiens) sont la perte de poids et des troubles du système nerveux. Des troubles de fertilités ont aussi été reportés chez la souris.
L’acrylamide et le glycidamide (son produit de dégradation) sont génotoxiques in vivo et cette mutagénicité s’exerce à travers les adduits d’ADN et le stress oxydants (radicaux libres).
- Exposition professionnelle : une première cohorte rétrospective (Swaen et al. 2007) sur 696 travailleurs d’une usine US et une 2ème cohorte rétrospective (Marsh et al. 2007) avec 8 852 travailleurs aux États-Unis ou aux Pays-bas n’ont pas identifié de risque accru de cancers suite à une exposition à l’acrylamide. Les études épidémiologiques chez les travailleurs ont mis en lumière une possible altération du système nerveux périphérique mais pas du système nerveux central liée à une exposition à l’acrylamide.
- Exposition alimentaire à l’acrylamide : l’EFSA a considéré 16 études et a conclu que les apports alimentaires en acrylamide ne sont pas associés avec les cancers du tractus respiratoire, du sein, de la prostate et de la vessie. Quelques études ont identifié un risque accru pour les cancers des ovaires, du rein et de l’endomètre (en particulier pour ceux qui n’ont jamais fumé) mais les résultats sont limités. Les limites sont que les questionnaires utilisés n’étaient pas créés au départ pour estimer la consommation en acrylamide, les données sont manquantes pour les méthodes de cuisson. Les questionnaires peuvent avoir dû mal à estimer les apports en acrylamide pour les aliments cuisinés à la maison.
- En 2015, la méta-analyse de Pelucchi et al. n’a pas identifié d’associations entre les apports en acrylamide et la plupart des cancers (oral, oesophagique, estomac, colorectal, pancréatique, du poumon, des seins, de l’endomètre, de la vessie et la prostate). Chez les personnes qui n’ont jamais fumé, un risque accru était proche de la significativité statistique pour les cancers de l’endomètre (RR=1.23 [1.00-1.51)) et celui des ovaires (RR=1.39 [0.97,2.00]). Le RR Risque Relatif compare un groupe exposé à l’acrylamide et peu exposé.
Les études épidémiologiques sur l’acrylamide/cancer sont donc non concluantes et limitées.
L’agence européenne EFSA a établi deux valeurs BMDL10 de 0,43 mg/kg pc pour les neuropathies chez les rats et de 0,17 mg/kg pc pour les effets néoplasiques chez la souris. L’acrylamide est classé par l’International Agency for Research on Cancer en groupe 2A cancarigène probable pour l’Homme. Pour évaluer les risques des substances cancrigènes, on compare l’exposition alimentaire à une valeur toxicologique (la BMDL) afin de calcul une marge d’exposition. Une marge d’exposition supérieure à 10 000 est peu près occupante pour la santé publique.
Les marges d’exposition pour l’acrylamide sont de 425 pour les adultes et de 50 ans pour les jeunes enfants. Il y a donc un risque. Les produits frits à base de pomme de terre, le café, le pain et les biscuits représentent les principaux groupes contributeurs chez les adultes.
L’acrylamide est un contaminant qui existe depuis très longtemps (sans doute depuis l’apparition de la cuisson des aliments).
Conseils pour éviter la formation d’acrylamide
Les aliments qui peuvent contenir de l’acrylamide sont principalement les frites, les chips, le café, les biscuits, les céréales petits déjeuners, les toasts. Réduire leur consommation est un moyen de réduire son exposition.
AVANT LA CUISSON
- Certaines variétés de pomme de terre ou céréales contiennent plus de sucres réducteur ou d’asparagine. Il faut mieux choisir les variétés conseillées pour les frites par exemple.
- Éviter les frites trop fines puisque ça augmente la surface de contact et de réaction. Pour les viennoiseries et pain maison, il vaut mieux faire un grand format plutôt que des petits formats pour diminuer la proportion de croûte.
- Rincer/laisser tremper dans l’eau les pommes de terre pelées à l’eau claire pour retirer une partie des sucres (amidon) puis les sécher.
- Pour les gâteaux ou biscuits, limiter l’ajout de sucres qui pourraient être des précurseurs de l’acrylamide
CUISSON
- Pour les frites, préchauffez au maximum l’huile à 175°C. Cuire jusqu’à l’obtention d’une couleur doré et pas brune.
- Ne pas faire trop cuire son pain (maximum à 250°C).
- Pour les toasts, ne pas griller à outrance.
- Penser à filtrer l’huile après chaque utilisation et nettoyer la friteuse.
- Faire bouillir, cuir à la vapeur ou passer au micro-onde ses pommes de terre avec la peau ne crée pas d’acrylamide.
ADOPTER UN RÉGIME ÉQUILIBRÉ
Adopter un régime diversifié avec une consommation accru de fruits, légumes, céréales entiers, des légumineuses, des fruits à coque sans sel/sucre ajouté, diminuer sa consommation de viande rouge et de charcuterie apporte de nombreux bénéfices santé bien au-delà que de réduire son exposition en acrylamide.
L’industrie agroalimentaire a également développé en coopération avec les Etats Membres de l’Union Européenne et la Commission une boite à outils pour réduire les niveaux en acrylamide dans les aliments par exemple en utilisant l’asparaginase, une enzyme qui réduit l’asparagine en acide aspartique, ce qui réduit les teneurs en précurseurs de l’acrylamide.
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Sources:
EFSA CONTAM Panel (EFSA Panel on Contaminants in the Food Chain), 2015. Scientific Opinion on acrylamide in food. EFSA Journal 2015; 13(6):4104, 321 pp. doi:10.2903/j.efsa.2015.4104
On peut signaler à ce propos la pomme de terre « Innate », modifiée génétiquement pour produire moins d’acrylamide à la cuisson.
https://en.wikipedia.org/wiki/Genetically_engineered_potato#Innate
Merci beaucoup pour cet ajout d’information.
n’y a t’il pas un moyen plus efficace, de réduire l’ acrylamide dans la torréfaction des grains de café ? et autres aliments de fabrication industrielle ?
privilégier les cafés
– arabica d’altitude (éthiopien par exemple)
– à torréfaction claire (très bien pour des méthodes d’extraction douce douces mais développe une acidité excessive en expresso).
Des procédés enzymatiques sont à l’étude pour réduire le taux d’asparagine des grains de cafés ce qui réduirait la quantité d’acrylamide du produit fini. Pas encore industrialisés à ma connaissance.