Floraison précoce des cerisiers du Japon : conséquences du changement climatique
C’est le moment de « regarder les fleurs » des cerisiers : Hanami, en japonais. Hanami est une coutume ancienne et contemplative qui consiste à admirer la beauté des fleurs. Celle-ci était un passe-temps aristocratique « kyokusui no utage » où l’on récitait des poèmes en buvant du saké. Les pétales roses sont devenues le centre d’intérêt des poètes qui louaient leur nature belle mais éphémère. À leur tour, les Japonais en sont venus à les considérer comme une métaphore de la nature éphémère de la vie elle-même. Cette tradition a été solidifiée par l’Empereur Saga de la période Heian à la cour impériale de Kyoto. Kyoto était la capitale du Japon de 794 à 1868. A l’époque d’Edo (ancien nom de Tokyo), la coutume s’est répandue à tous les niveaux de la société japonaise

Le cerisier à fleur est appelé sakura. Ces arbres appartiennent à la famille des Rosaceae. On distingue deux groupes de cerisiers : ceux à fleurs sauvages (Prunus serrulata, Prunus×yedoensis, Prunus subhirtella…) et les cerisiers du jardin (les sato-sakura, des hybrides résultant de croisement entre deux plantes du même genre ou de la même espèce). L’espèce la plus fréquente est le Prunus serrulata aux feuilles dentelées.
Les sakura sont visibles au Parc de Sceau au bosquet nord. La floraison dure environ 10 jours et arrive fin Mars-Avril. La durée peut varier selon les années, les lieux en fonction de la température, l’ensoleillement, le vent, la pluie. La pleine floraison se nomme mankai. Et la chute des pétales s’appelle sakurafubuki, ce qui signifie tempête de neige. D’un point de vue culturel, une prédiction précise de la floraison des cerisiers est essentielle car de nombreux festivals et événements printaniers dans le monde sont programmés autour de cet événement.

Impact du changement climatique sur la floraison des cerisiers
Les cerisiers en fleurs sont également un indicateur efficace de l’impact du changement climatique sur la phénologie car leur période de floraison est très sensible aux températures, en particulier en hiver et au début du printemps (c’est-à-dire février et mars). Cesaraccio et al. 2004 ont proposé un modèle thermique de prévisions de la date de floraison en deux séquences : une période de repos avec un refroidissement (dormance) et une période de réchauffement pour la floraison. Ce modèle se base sur les températures journalières et d’équations dont je vous passe les détails ici. D’après celui-ci, la floraison des cerisiers sera avancé de 9 jours entre 2011-2040 (par rapport à 1971-2000).

Le dernier rapport du GIEC (p.1879) estime qu’en Corée du Sud la floraison des cerisiers sera 6,3 et 11,2 jours plus tôt après 2090 dans les scénarios RCP 4.5 et RCP 8.5. Plus généralement, le changement climatique va altérer la phénologie des plantes (la floraison, la feuillaison, la chute des feuilles). Par exemple, des chercheurs (Miller-Rushing 2007) ont observé 97 cerisiers (Cerasus ou Prunus) pendant 25 ans de 1981 à 2005 au Mont Takao à Tokyo. Ils ont constaté qu’en 25 ans, les cerisiers fleurissaient 5,5 jours plus tôt. Les températures des mois de février et Mars ont augmenté en moyenne de 1,8°C en 25 ans.

Les cerisiers fleurissaient 4,2 jours plus tôt pour chaque augmentation de +1°C des températures en Février et Mars.
Une autre étude portant sur les cerisiers à Washington DC (Prunus×yedoensis ‘Yoshino’ and Prunus serrulata ‘Kwanzan) a également estimé que la date de floraison maximale sera avancé de 5 jours en 2050 (Chung 2011).

Une autre étude au Japon (Nagai 2020) sur les cerisiers Yoshino a observé sur 42 sites que la corrélation entre la date de floraison des cerisiers et leur latitude au cours de la période 1953-2020 a diminué indiquant une modification spatiale du moment de floraison. Cela est confirmé par une autre étude (Aono 2007) portant sur les dates de floraison du 8è siècle à nos jours. Cette tendance vers des dates de floraison plus précoces rend potentiellement les cerisiers en fleurs plus vulnérables aux gels printaniers. Cette avancée de la floraison pourrait aussi poser des problèmes avec un décalage avec l’arrivée des pollinisateurs.

J’ai pris l’exemple des cerisiers mais le changement climatique touche la phénologie de toutes les espèces végétales.
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Sources : Parc de Sceaux
Chung U, Jung JE, Seo HC, Yun JI (2009) Using urban effect corrected temperature data and a tree phenology model to project geographical shift of cherry flowering date in South Korea. Climatic Change 93: 447–463.
Nagai, Shin et al. “Does global warming decrease the correlation between cherry blossom flowering date and latitude in Japan?.” International journal of biometeorology vol. 64,12 (2020): 2205-2210. doi:10.1007/s00484-020-02004-w