Zoom sur l’enquête Envoyé Spécial « Le Secret des Aliments Ultra-transformés » du 13 Septembre 2018 – France 2

France 2 a diffusé Jeudi 23 Septembre un reportage Envoyé Spécial sur les aliments ultra-transformés. Après avoir visionné cette enquête, je l’ai trouvée un peu anxiogène. Je vous propose un bref retour sur quelques points de cette émission. Voici le lien pour voir l’enquête : https://www.youtube.com/watch?v=K3j-VIG0Rcg

Bref retour sur le contexte scientifique

En 2010, une équipe brésilienne du Prof. Carlos Monteiro a publié dans le journal Cadernos de Saúde Pública une classification originale des aliments, basée sur leur degré de transformation alimentaire. Cette classification nommée NOVA a été reconnue par la FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture) et l’Organisation Panaméricaine de la Santé (PAHO, branche de l’OMS). Elle attribue les aliments en 4 catégories :

clasification NOVA ultra-transformés aliments

 

L’approche novatrice de cette classification consiste à prendre en compte une large palette des dimensions de l’alimentation liée à l’industrialisation de notre régime alimentaire : la qualité nutritionnelle, les contaminants alimentaires, les additifs, les matériaux de contact… Par le passé, la nutrition s’est principalement focalisée sur le fait de savoir si un ou des facteurs nutritionnels pourraient être liés à des états de santé.

Depuis, plusieurs études transversales ont montré que dans certains pays jusqu’à 50% de nos apports énergétiques proviendraient de produits ultra-transformés (Monteiro 2018). Quelques études prospectives qui suivent des populations sur plusieurs années ont identifié des liens statistiques entre une consommation accrue d’aliments ultra-transformés et le risque de dyslipidémie (Rauber 2015), d’obésité (Mendonca 2016), d’hypertension (Mendonca 2017) et de cancer au global et du sein (Fiolet 2018). Plus d’infos : Article sur la classification NOVA.

Plusieurs hypothèses ont été étayées pour expliquer ces relations : une mauvaise qualité nutritionnelle, les contaminants alimentaires liés aux processus de transformation, la matrice alimentaire, la dérégulation de l’appétit, les additifs alimentaires controversés… Bien entendu, il reste encore beaucoup d’études à mener pour avoir un niveau de preuve scientifique pour confirmer ou non ces hypothèses. Ce manque de niveau de preuve scientifique explique par ailleurs que le logo nutritionnel Nutri-Score récemment lancé en France et en Belgique n’incorpore pas cette composante de transformation alimentaire.

Envoyé Spécial

La définition des ultra-transformés

L’enquête définit les aliments ultra-transformés comme des « produits industriels reconstitués à base d’une dizaine d’ingrédients, d’additifs, de mauvais sucres. ils ont perdu une grande partie de leur qualité nutritionnelle. »

Voici la définition donnée par C. Monteiro :  » ceux-ci incluent des formulations industrielles typiquement avec 5 ingrédients ou plus. Ces ingrédients incluent souvent ceux utilisés pour les aliments transformés [catégorie 3] tels que les sucres, l’huile, les graisses, le sel, les antioxydants, les stabilisateurs et les conservateurs. Parmi les substances présentes uniquement dans les produits ultra-transformés, certaines sont directement extraites d’aliments, telles que la caséine, le lactose, le lactosérum et le gluten, et d’autres issues de leur transformation, telles que les huiles hydrogénées ou inter-estérifiées, les protéines hydrolysées, le maltodextrine, le sucre inverti et le sirop de maïs à haute teneur en fructose. Les classes d’additifs que l’on trouve uniquement dans les produits ultra-transformés comprennent les colorants, stabilisants, arômes, exhausteurs de goût, édulcorants, auxiliaires technologiques tels que des agents de carbonatation, raffermissants, gonflants et gonflants, anti-agglomérants, émulsifiants, séquestrants ou humectants.

Envoyé Spécial met en avant les « mauvais » sucres

D’un point de vue chimique et physiologique, il n’y a pas de bons et mauvais sucres. Les termes glucides, sucres ou carbohydrates désignent le même macronutriment. Glucose, galactose, fructose, saccharose, lactose, maltose sont tous issus de la famille des sucres. Ce sont des mono- et disaccharides avec 1 ou 2 unités de sucres. Les sucres avec un degré de polymérisation d’unités de sucres plus élevé comme l’amidon sont présents dans les féculents par exemple.

Sucres polyosides glucides familles exemples

Les glucides sont essentiels au bon fonctionnement de l’organisme comme source d’énergie. L’Agence française sanitaire ANSES recommande un apport de 40 à 55 % d’énergie venant des glucides et de limiter les apports en sucres « simples », c’est à dire les mono- et disaccharides. Il faut privilégier les sucres des féculents, des produits céréaliers complets et des légumineuses.

Envoyé Spécial évoque la longue liste d’ingrédients comme une caractéristique des aliments ultra-transformés. A savoir que cette liste est établie par ordre d’importance pondérale décroissante (y compris les additifs et les arômes). Les ingrédients allergènes doivent être mis en relief. La déclaration nutritionnelle est obligatoire depuis le 13 décembre 2016 avec le règlement UE n°1169/2011.

Le sirop de maïs High Fructose Corn Syrup HFCS

Une forte stigmatisation a été faite sur le sirop de maïs HFCS. L’HFCS a remplacé le saccharose ajouté (1 molécule de glucose associée à 1 molécule de fructuse) qui était extrait de la betterave et de la canne. Ce sirop de maïs est plus riche en fructose et a un pouvoir sucrant supérieur au glucose. La forme liquide est utilisée par praticité. Le fructose est trouvé naturellement dans les fruits ou le miel par exemple. La métabolisation du fructose par le foie est différente de celle du glucose régulé par l’insuline et utilisé dans de nombreux tissus. Le fructose a été au cœur d’une polémique (que je ne détaillerai pas ici) par rapport à des désordres du métabolisme énergétique, le diabète de type 2 et l’obésité mais il n’est pas possible de tirer de conclusion des études chez l’Homme pour un effet du fructose seul (Rizkalla 2010, Khan 2016).

Ce sirop de maïs contient autant de fructose que le miel ou le sirop d’agave. La consommation excessive de HFCS, mais globalement de sucres « simples » (glucose, fructose, saccharose = sucre de table) comme le sucre blanc, brun, les sirops peuvent entraîner un risque accru de surpoids, des caries et du diabète de type 2. Un des problèmes pointés est que ces sucres sont parfois rajoutés dans les produits ultra-transformés.

Profils sucres glucides carbohydrates sirop agave coco miel

L’expérience de diminuer sa consommation de produits ultra-transformés

Envoyé Spécial met en scène Patrick, un homme de 39 ans qui mange de façon régulière des produits prêts à l’emploi et transformés. Pendant 6 semaines, il a arrêté de consommer ces produits et il a perdu 15 cm de tour de taille. C’est intéressant de voir qu’un retour à la cuisine maison permet de retourner vers un régime plus équilibré.

Cependant il est important d’avoir en tête que son cas n’est pas généralisable et que cela ne constitue pas une étude scientifique. Le message a retenir qu’il est intéressant de réduire sa consommation de produits ultra-transformés.

Évaluation des risques des additifs alimentaires

Les additifs alimentaires sont des substances ajoutées intentionnellement dans un produit afin de modifier sa texture, son goût, son apparence, sa durée de conservation… à la différence des contaminants qui sont présents de manière non intentionnelle dans les aliments. Dans l’Union Européenne, environ 400 additifs identifiés par un numéro commençant par un « E » sont autorisés sur le marché. En 2010, un sondage (Eurobarometer, No 354, 2010) avait identifié que 66% des européens seraient inquiets par ces additifs dont 25% très inquiets. Cette liste d’additifs est divisée en 24 classes fonctionnelles selon leur but d’utilisation.

listes additifs autorisés UE

Avant d’être mis sur le marché, la sécurité des additifs alimentaires est évaluée par un panel scientifique (le groupe FAF sur les additifs alimentaires et les arômes, d’experts indépendants recrutés pour 3 ans). D’ici 2020 tous les additifs seront ré-évalués. Ces évaluations comprennent entre autre les risques chimiques, les toxicités aiguë, sub-chronique et chronique, les études de génotoxicité et mutagénicité, toxicité pour la reproduction et le développement, la cancérogénicité, l’allergénicité et l’immunotoxicité. L’exposition reflétant la quantité d’aliments consommés et des teneurs en additifs de ces aliments est évaluée. Les additifs autorisés sont donc étudiés en amont par une expertise collective de spécialistes du sujet.

autorisation mise sur le marche additif alimentaire efsa procedure

Des substances coûteuses à étudier

« Aucune étude n’a jamais été faite pour voir quels sont les effets à long terme de tous ces mélanges d’additif sur le long terme au cours d’une vie » évoque le reportage.

Habituellement des seuils limites pour lesquels on peut consommer un additif alimentaire donné pendant tout une vie sont définis par les DJA Doses Journalières Admissibles dérivées d’études de toxicologie. Mais la limite de ce concept est d’établir des limites pour un additif donné comme s’il était isolé. Or la plupart des produits transformés contiennent plusieurs additifs.

La question qui peut donc se poser est l’exposition sur le long terme et synergique à plusieurs additifs alimentaires. Les méthodes d’estimation d’une exposition cumulée à plusieurs substances sont encore en développement. Les additifs sont difficiles et coûteux à étudier pour les analyses chimiques par rapport à la diversité des matrices alimentaires, avoir des données de consommation fiables que l’on peut lier à des données de niveaux d’additifs. Dans les études épidémiologiques humaines, les données sur les apports en additifs sont peu accessibles parce qu’on ne connaît pas exactement le produit consommé (la marque) ni sa liste d’ingrédients associés (les teneurs en additifs ne sont pas indiquées), il est également très coûteux de doser des additifs ou leurs métabolites par des biomarqueurs sanguins ou urinaires. Ce coût explique que ce soit à l’industriel de financer les études de toxicité demandées. Les études in vivo et animales ne sont pas non plus directement extrapolables à l’Homme.

Pour finir, l’évaluation de l’exposition alimentaire est cruciale pour distinguer par exemple quelqu’un consommant 5L de Coca light (fort exposé aux édulcorants) et celui qui n’en consomme pas. Consommer de façon occasionnelle des produits ultra-transformés ne vous donnera pas le cancer, c’est le mode de vie globale dont l’alimentation est une des composantes qui influence le risque de développer des maladies chroniques. Pour le moment, il est difficile de conclure avec certitude sur ces additifs, d’où les ré-évaluations scientifiques fréquentes de ceux-ci.

S’efforcer à plus cuisiner à la maison pourrait être une solution à adopter un régime plus équilibré et riches en nutriments. L’éducation nutritionnelle est essentielle pour éviter les amalgames évoqués dans le rapport par exemple entre une barre de céréale ultra-transformée et un aliment sain riche en vitamines. Pour ce qui concerne les aliments ultra-transformés, je voudrais souligner que la recherche débute dans ce domaine.

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Sources:

Monteiro et al. A new classification of foods based on the extent and purpose of their processing. Cad Saude Publica. 2010 Nov;26(11):2039-49.

Khan et al. Controversies about sugars: results from systematic reviews and meta-analyses on obesity, cardiometabolic disease and diabetes. Eur J Nutr. 2016; 55(Suppl 2): 25–43.

Rizkalla et al. Health implications of fructose consumption: A review of recent data. Nutr Metab (Lond). 2010; 7: 82.

EFSA. The re-‘E’valuation of Europe’s food additives. Consulté le 18/09/2018 https://www.efsa.europa.eu/en/press/news/120130b

Fiolet et al. Consumption of ultra-processed foods and cancer risk: results from NutriNet-Santé prospective cohort. BMJ 2018; 360 (Published 14 February 2018)

Mendonça et al. Ultraprocessed food consumption and risk of overweight and obesity: the University of Navarra Follow-Up (SUN) cohort study. Am J Clin Nutr. 2016 Nov;104(5):1433-1440

Mendonça et al. Ultra-Processed Food Consumption and the Incidence of Hypertension in a Mediterranean Cohort: The Seguimiento Universidad de Navarra Project. Am J Hypertens. 2017 Apr 1;30(4):358-366

Rauber F et al. Consumption of ultra-processed food products and its effects on children’s lipid profiles: a longitudinal study. Nutr Metab Cardiovasc Dis. 2015 Jan;25(1):116-22

Monteiro et al. Household availability of ultra-processed foods and obesity in nineteen European countries. Public Health Nutr. 2018 Jan;21(1):18-26

J.M. Rippe (ed.), Fructose, High Fructose Corn Syrup, Sucrose and Health, Nutrition and Health, 13

Table USDA pour les sucres

Kamal (2010) Dtermination of sugars in honey bi liquid chromatography

 

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