Viande in vitro : l’alimentation de synthèse du futur cultivée en laboratoire ?
En 2050, la population mondiale approchera les 9,8 milliards d’habitants. La consommation de viande devrait doubler en particulier dans les pays en voie de développement (FAO), ce qui augmentera considérablement la pression environnementale pour produire cette viande. Pour réduire la consommation de viande, plusieurs alternatives ont été proposées : associations céréales/légumineuses, insectes, algues, viande in vitro…
La consommation de la viande en France
La viande est ancrée dans les habitudes alimentaires françaises avec le repère du Programme National Nutrition Santé « consommer de la viande/poisson/œuf 1-2 fois par jour ».
La viande est un vecteur important d’apport en protéines de qualité (en acides aminés indispensables = non synthétisable par l’organisme), en éléments minéraux (fer héminique, zinc, sélénium et en vitamines B surtout la B12.
Cependant, lors de la révision de ces repères, il est maintenant conseillé de diminuer sa consommation de viande rouge et de charcuteries. D’après l’Étude INCA3, les français adultes consommaient en 2015 en moyenne 47,3 g/j de viande (hors volaille), 26g/j de volaille et 27,3 g/j de charcuterie. Sur les 2121 participants, les viandes et la volaille représentaient 6,2% de la quantité totale d’aliments consommés. La première viande consommée est le porc, puis vient la volaille. En 2016, la consommation de volaille (consommation = abattages + importations viandes – exportations viandes+ stock début – stock fin) a augmenté de 4%. Celle des bovins a diminué de -0,7%, la viande porcine de -0.8% et la viande ovine de -3,1% (Agreste).
Cette consommation de viande a été stigmatisée sur plusieurs points :
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les courants de pensées du végétarisme ou végan par rapport au bien-être animal, le fait de tuer un animal et la promotion des protéines végétales comme alternative protéique
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la concurrence entre les ressources végétales alimentaires entre l’homme et les animaux d’élevage. 33% des terres arables sont utilisées pour nourrir les bêtes.
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l’impact environnemental. Le secteur de l’élevage contribue pour 14,5 % aux émissions de gaz à effet de serre dues à l’activité humaine et est un grand utilisateur de ressources naturelles. D’après la FAO, la production de bœuf représente la majorité des émissions (41%) par rapport au porc (9%) ou la volaille (8%). Les principales sources d’émission proviennent de la production et de la transformation de l’alimentation animale, la fermentation entérique des ruminants et la décomposition du fumier.
La viande in vitro consiste à créer de la viande par ingénierie tissulaire. Le but serait de produire de la viande sans animal ce qui pourrait être une alternative intéressante. Pour comprendre comment synthétiser de la viande artificielle, il est important d’avoir en tête comment se forme le muscle.
Qu’est-ce qu’un muscle ?
Le muscle est la partie de l’animal que l’on mange sous forme de viande. Un muscle se compose d’eau à 75%, de protéines à 20%, de matière grasse à 2-8% avec principalement des acides saturés et mono-insaturés. Le muscle est un organe constitué de centaines à milliers de fibres musculaires regroupées en faisceau de fibres.
Durant le développement embryonnaire et fœtal, les cellules souches se différencient en cellules précurseurs musculaires (pré-myoblastes). Puis ces myoblastes se différencient en myocytes. Ensuite, ils se multiplient et fusionnent pour donner des myotubes, des cellules allongées avec plusieurs noyaux. Ces myotubes se différencient ensuite en fibres musculaires entourées de tissu conjonctif de collagène et irrigué par les vaisseaux sanguins. Ces faisceaux de fibres musculaires forment le muscle. La différenciation cellulaire est un processus biologique qui conduit à la spécialisation des cellules qui acquièrent leurs propriétés spécifiques. La morphologie de la cellule peut changer.
Quels sont les éléments pour faire de la viande in vitro ?
Une source de cellules, un « scaffold » (un support biologique), un bioréacteur, un milieu de culture et des facteurs de croissance sont les premiers ingrédients pour produire des fibres musculaires synthétiques. La différenciation cellulaire (passage des myoblastes en myocytes puis en fibres) peut être stimulée par un champ électrique ou magnétique. Le milieu de culture contient des nutriments et des facteurs de croissance pour faire multiplier les cellules, apportés par des sérums animaux (sérum de veau fœtal par exemple). Le milieu peut contenir des antibiotiques pour limiter les contaminations. L’atmosphère est généralement enrichie en CO2.
Les cellules utilisables pour la culture de viande in vitro :
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des cellules souches embryonnaires. Une cellule souche est une cellule indifférenciée, qui est capable de s’auto-renouveler, de se différencier en d’autres types cellulaires et de proliférer en culture. Ces cellules peuvent se différencier en myoblastes.
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des myoblastes embryonnaires (cellules satellites musculaires = cellules précurseurs de la cellules musculaires). Elles ont une faible capacité de régénération mais une bonne efficacité en transformation en myotubes. Ce type de cellule est une cellule souche quiescentes (« endormie ») qui peut proliférer puis se différencier en myocyte. Elles peuvent être extraites des muscles du poulet, du porc et du bétail.
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les cellules souches adultes : des cellules épithéliales ou des cellules adipeuses qui peuvent se différencier en muscles. Le problème est que les cellules adultes peuvent devenir cancéreuses.

Ces cellules sont prélevées sur un bout de muscle d’un animal. Les cellules musculaires peuvent être cultivées mais n’ont pas la capacité de se multiplier.
Deux techniques :
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self-organizing technique : utiliser un bout de muscle d’un animal que l’on centrifuge pour en obtenir des fragments que l’on laisse pousser sur un milieu de culture. En 1912, Alexis Carrel a réussi à faire survivre un bout d’un cœur d’un muscle du cœur vivant dans une boite de Pétri. L’expérience a été aussi réalisée avec un muscle du poisson rouge en 2002.
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scaffold-based technique : repose sur un support (échafaud, un substrat) où repose des cellules myoblastiques attachées. Ce support est de préférence comestible (Acide polyglycolique). En effet, les cellules musculaires nécessitent des supports pour être cultivées et se différencier. Ces cellules prolifèrent dessus tout en étant dans un bioréacteur avec un milieu de culture puis forment des myotubes qui deviennent des myofibres. Ces cellules peuvent être attachées sur des sphères >175 μm de collagène (comme le « Cytodex® 3 microcarrier beads », qui sont des microbilles de dextrane revêtues de collagène en suspension) ou un maillage de collagène. Une difficulté est ensuite de retirer les cellules différenciées du support.
Le premier hamburger synthétique en 2013
Le lundi 5 août 2013 a eu lieu à Londres la première dégustation d’un hamburger in vitro fabriqué par les équipes du Dutch Cultured Meat Project and New Harvest. Deux gouteurs assermentés ont mangé ce burger de 142 grammes à 250 000€ : une Autrichienne « chercheuse en tendances culinaires» et l’auteur américain d’un livre sur « les goûts de demain ». Il a été cuisiné par le chef Richard McGeown du Couch’s Great House Restaurant à Cornwall. Le coût exorbitant de ce produit ne provient pas seulement des matières premières mais également des techniques de pointe et des scientifiques impliqués dans ce projet.
Une startup de la Silicon Valley, Memphis Meats, avait également synthétisé en Février 2016 et Mars 2017, la première boulette de viande synthétique et du poulet artificiel tous les deux issus de cellules souches.
Un contrôle de la composition nutritionnel in vitro
La composition nutritionnelle de la viande synthétique pourrait être contrôlée par la composition du milieu de culture en choisissant les nutriments. Par exemple, les acides gras saturés pourraient être remplacés par des oméga-3. Avec le contrôle de toutes les conditions de culture de ces fibres musculaires, les contaminations devraient être réduites.La production pourrait être plus rapide que par l’élevage.
La question épineuse de l’élevage
En outre, il ne serait plus nécessaire de tuer les animaux pour les consommer. Or l’élevage est accusé d’avoir une empreinte carbone et en eau élevée. Cependant, cela soulèverait des questions sur le maintien des animaux d’élevage. En effet, les animaux d’élevage rendent de nombreux services :
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Les ruminants permettent le maintien des paysages agropastoraux ouverts et diversifiés. Sans les animaux d’élevage, les prairies disparaîtraient or elles jouent un rôle important dans le stockage de carbone. Ces paysages deviendraient des friches puis des forêts.
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Les animaux d’élevage permettent de valoriser les végétaux non consommés par l’Homme qu’on appelle coproduits de cultures.
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L’élevage participe à la fertilisation des sols avec les effluents avec des apports en azote et phosphore.
Des impacts environnementaux controversés
L’étude de Tuomisto (2011) a estimé que 1000 kg de viande in vitro nécessite 26-33 Gj d’énergie, 367-521 m3 d’eau, 190-230 m² de terre et émet entre 1900 et 2240 kg CO2 équivalent de gaz à effet de serre. Cette étude du cycle de vie de la production de viande in vitro a montré que la viande synthétique nécessiterait moins de ressources en énergie, en terres et en eau que les autres productions animales conventionnelles.
Une autre étude sur le cycle de vie de la viande artificielle (Mattick 2015) a intégré en plus la production du milieu de culture, le changement de milieu pendant la phase de prolifération et différenciation des myocytes, l’entretien du bioréacteurs à ses calculs. Ces chercheurs considèrent que la production de viande in vitro pourrait être plus couteuse en énergie que pour les productions de volaille et de porc conventionnelles. Il n’est donc pas si évident de conclure hâtivement sur le bilan environnemental.
De nombreux challenges encore à relever
Les principales difficultés sont :
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la disponibilité de lignées cellulaires de cellules souches d’animaux d’élevage. La capacité de reproduction des cellules souches n’est pas parfaite.
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la production à grande échelle qui n’a pas été testée et qui est discutable sur la faisabilité puisqu’il faudrait produire en quantité importante les ingrédients dont certains sont précisément d’origine animale
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le coût très important : 250 000€ pour produit un hamburger synthétique
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les qualités organoleptiques et esthétiques différents de la viande « naturelle ». La question de la couleur de la viande, il n’y a pas de sang pour irriguer les cellules musculaires donc la viande est blanche. De plus, la viande contient également de la graisse et des sucres qui ne sont pas présents dans la viande in vitro. Ces composés-là donnent également un certain goût lors de la cuisson par la réaction de Maillard.
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l’acceptation psychologique du consommateur. Est-ce que les gens sont prêts à manger de la viande qui n’est pas « naturelle ».
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la question de l’utilisation de molécules controversées en élevage (hormones, facteurs de croissances, antibiotiques…). Le sérum de veau fœtal (SVF) provient de sang prélevé de fœtus enlevés chez les vaches gestantes au moment de l’abattage. Le fœtus de veau est enlevé lors de l’éviscération et le sang est prélevé par ponction cardiaque sans anesthésie.
Pour le moment, réduire le gaspillage alimentaire, augmenter la consommation de protéines végétales et diminuer celle d’origine animale avec les céréales et les légumineuses sont des alternatives plus réalistes pour le moment.
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Source :
Susan M. Abmayr, Grace K. Pavlath. REVIEWS Myoblast fusion: lessons from flies and mice. Development 2012 139: 641-656 http://dev.biologists.org/content/139/4/641
Shruti Sharma et al. In vitro meat production system: why and how? J Food Sci Technol. 2015 Dec; 52(12): 7599–7607. J Food Sci Technol. 2015 Dec; 52(12): 7599–7607
Mark J. Post. Cultured meat from stem cells: Challenges and prospects. Meat Science 92 (2012) 297-301
Tuomisto H.L., Teixeira de Mattos M.J., 2011. Environmental impacts of cultured meat. production. Environ. Sci. Technol., 45, 6117-6123
Mattick C. S. et al. 2015. Anticipatory Life Cycle Analysis of In Vitro Biomass Cultivation for Cultured Meat Production in the United States. Environmental science &technology. DOI: 10.1021/acs.est.5b01614
Agreste Synthèses – Consommation – Mars 2017 – n°2017/301 – http://agreste.agriculture.gouv.fr/IMG/pdf/conjsynt301201703cons.pdf
FAO – http://www.fao.org/docrep/005/y4252e/y4252e07.htm
FAO – Tackling climate change through livestock – http://www.fao.org/ag/againfo/resources/en/publications/tackling_climate_change/index.htm
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