Une sous-estimation de l’exposition au bisphénol A d’après une nouvelle méthode de dosage urinaire du BPA
Des chercheurs de l’Université de Washington ont mis au point une nouvelle méthode pour mesurer les concentrations de bisphénol A dans l’urine chez l’Homme (Gerona 2019). Ils ont découvert que l’exposition pourrait être plus importante que ce qui était supposée auparavant.
La bisphénol A et sa métabolisation
Le bisphénol A (ou 2,2-Bis(4-hydroxyphenyl)propane) est un solide blanc, caractérisé structuralement par deux groupements hydroxyphénols. Le BPA est synthétisé à partir de phénol et d’acétone par une réaction de condensation. Le BPA est utilisé dans la fabrication de plastiques et de résines. Il est incorporé dans de nombreux produits (câbles, récipients alimentaires, appareils électroménagers, encres d’imprimerie…).

En 2016, l’ANSES voulait identifier le BPA comme « substance extrêmement préoccupante » dans le règlement REACh sur base de ses propriétés reprotoxiques et de perturbateur endocrinien. En 2017, l’EFSA a lancé une ré-évaluation du BPA.
La loi n° 2012-1442 du 24 décembre 2012 a interdit le bisphénol A dans les contenants destinés à des enfants de moins de trois ans.
Comment le bisphénol A est absorbé dans l’organisme ?
En population générale, la principale voie d’exposition est par l’alimentation. 50% de l’exposition au Bisphénol A non-conjugué provient des produits en conserve. Quand le bisphénol A absorbé dans l’organisme, il est conjugué en grande partie sous forme glucuronide (BPA-Glucuronide dit BPA-G) sous l’action d’UDP-glucuronyl-transférase et sous forme sulfate (BPA-Sulfate dit BPA-S) par une sulfotransférase. BPA-G et BPA-S sont donc des formes conjuguées. Cette conjugaison sert normalement à éliminer le BPA dans les urines ensuite.
Il reste 1-8% de BPA sous forme libre et sous des formes minoritaires. Le BPA libre a tendance à se lier aux protéines plasmatiques.
Comment évalue-t-on les niveaux de BPA dans les urines ?
On peut effectuer
- soit un dosage direct des formes conjuguées et libres (il faut avoir les produits purs)
- soit un dosage indirect : il faut d’abord déconjuguer ces formes pour doser la somme des dérivés conjugués et non conjugués auquel on soustrait le non conjugué. L’enzyme β-glucuronidase d’Helix Pomatia (un escargot) est utilisée pour cette réaction puisqu’elle a une action de sulfatase et de glucuronidase. On utilise un marqueur de déconjugaison (4-méthyl-umbelliferone par exemple) pour vérifier que l’action de l’enzyme (action glucuronidase et sulfatase) est complète. Cela atteste que les conjugués du BPA ont bien été déconjugués en BPA et CLxBPA (dérivés chlorés du bisphénol A)
Les résultats de la nouvelle méthode directe
La nouvelle méthode de Gerona permet de mesurer directement les métabolites du BPA eux-mêmes sans utiliser la solution enzymatique.
Ils ont comparé cette nouvelle méthode et l’ancienne avec l’utilisation de l’enzyme à base d’escargot. Pour cela, ils ont dosé une urine synthétique dopée au BPA, puis avec 29 échantillons humains. Ils ont trouvé des taux beaucoup plus élevés de BPA en utilisant la méthode directe, jusqu’à 44 fois la moyenne rapportée par l’Enquête nationale sur la santé et la nutrition (NHANES). La méthode directe donnait une moyenne de 51,99 ng/mL de BPA total et la méthode indirecte donnait une moyenne de 2,77 ng/mL.

Les différences entre les deux méthodes augmentaient avec l’exposition plus importante au BPA: plus l’exposition était importante, plus la méthode précédente manquait.
D’autres études de réplication doivent confirmer ou non ces résultats et cette méthode. Cependant, cela soulève des questions parce que les estimations de l’exposition humaine ont été basées presque exclusivement sur des données provenant de méthodes indirectes. Ces résultats fournissent des potentielles preuves que l’exposition humaine au BPA est beaucoup plus élevée que ce qui avait été supposé précédemment. Il est également essentiel de déterminer dans quelle mesure les erreurs d’estimation de l’exposition humaine s’étendent à d’autres contaminants chimiques mesurés par des méthodes indirectes.
Pas de risque d’après l’Efsa
D’après l’Autorité Européenne de Sécurité Alimentaire (EFSA), « le BPA ne pose pas de risque pour la santé des consommateurs étant donné que l’exposition actuelle à cette substance chimique est trop faible pour engendrer des dommages. » L’exposition alimentaire au BPA est de 3 à 5 fois inférieure à la DJT (Dose Journalière Tolérable) en fonction du groupe d’âge.
En janvier 2015, la dose journalière tolérable (DJT) a été réduite de 50 µg à 4 µg/kg pc/jour suite à une nouvelle méthode d’évaluation de risque : les calculs utilisés pour évaluer les risques sont fondés sur des informations spécifiques à la substance et non sur des valeurs standard par défaut couramment utilisées.
En janvier 2017, le bisphénol A a été ajouté à la liste des substances extrêmement préoccupantes (SVHC) candidates en raison de sa toxicité pour la reproduction (ECHA).
L’Agence d’évaluation des risques danoise (DTU National Food Institute) a estimé que l’évaluation des risques de l’EFSA sous-estimait les risques et demande une réduction de la DJA à 0,7 µg /kg pc/j par rapport aux effets de perturbateurs endocriniens.
Pour suivre les autres actualités du blog ou en apprendre plus sur les controverses alimentaires, santé et environnement :
Source
Gerona et al. BPA: have flawed analytical techniques compromised risk assessments? The Lancet. Diabetes & Endocrinology. December 05, 2019
DTU. National Food Institute maintains its assessment of bisphenol A https://www.food.dtu.dk/english/News/2015/02/National-Food-Institute-maintains-its-assessment-of-bisphenol-A
EFSA. Bisphénol A. https://www.efsa.europa.eu/fr/topics/topic/bisphenol
ECHA. Bisphénol A. https://echa.europa.eu/fr/hot-topics/bisphenol-a
Ton article est très alarmiste, suggérant qu’il y aurait un risque ignoré lié à une surexposition au BPA. Il faut quand même rappeler que sur le BPA, la France et l’ANSES ont une appréciation du risque très différente des autres agences sanitaires. Cf l’article de l’AFIS sur le sujet des perturbateurs endocriniens:
« Les évaluations ont été affinées par les agences selon des modalités différentes. Pour la FDA et l’EFSA, le BPA ne constitue pas un risque, quel que soit le groupe de population concerné, compte tenu des expositions actuelles, après l’interdiction des biberons en polycarbonate aux USA et en Europe. Il ne convient donc pas de restreindre davantage son usage. Cette position est aussi celle des agences de biosécurité de divers pays : Allemagne (BfR), Japon, UK, Canada, Suisse et Hongkong.
Au contraire, l’avis de l’ANSES a conduit le gouvernement français à interdire son utilisation dans les emballages et objets en contact avec des denrées alimentaires depuis le 1er janvier 2015, malgré l’absence de substituts dépourvus des mêmes inconvénients sanitaires et environnemental. La France fait donc exception. »
Bonjour,
Merci pour votre retour. L’article n’est pas alarmiste, il ne fait que présenter factuellement les résultats de cette publication dans The Lancet Diabetes & Endocrinology. Pourquoi faudrait-il cacher cette étude ou la descendre ? Le protocole est clairement expliqué dans les annexes.
Vous oubliez l’évaluation des risques :
1. de l’agence Danoise le DTU : https://www.food.dtu.dk/english/News/2015/02/National-Food-Institute-maintains-its-assessment-of-bisphenol-A
Celle-ci appelle à une réduction de la DJT (qui avait déjà été réduite par l’EFSA), ce qui ferait dépasser les femmes enceintes.
2. de l’agence suédoise Swedish Chemicals Agency (Kemi), ils sont allés au-delà de l’interdiction française en interdisant tous les emballages au bisphénol A pour les enfants de moins de 3 ans
3. Par ailleurs, le Canada a également interdit l’usage du bisphénol A dans les biberons : pour les propriétés perturbateurs endocriniennes, cette fenêtre d’exposition critique après la naissance dont on ne connaît pas encore tout. Le mieux pour les contenants alimentaires sont ceux en verre.
J’ai fait une mise à jour en fin d’article.
Bien cordialement.
Bonjour, merci pour votre super blog. Je crois que vous n’avez pas mentionner que le bisphénol A est interdit dans les contenant alimentaire en France. Je crois aussi qu’il a été remplacé par le bisphénol S qui pourrait être aussi dangereux (https://www.futura-sciences.com/sante/actualites/medecine-bisphenol-s-serait-plus-dangereux-bisphenol-44219/). Aussi si les boites de conserve sont les sources principale d’exposition, il serait intéressant de savoir quelle boite de conserve en contient le plus ( conserve de tomate vs conserve de pois chiche vs conserve plat préparé…)
Sinon quelque chose de peu connu, la moutarde contient du bisphénol F, il se forme « naturellement » : lorsque les graines de moutarde (en fait seulement Synapis alba, la moutarde blanche) sont broyées dans un liquide (vinaigre, vin), une chaine de réactions chimiques se déclenche et est à l’origine de la présence de bisphénol F. (https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC4685613/) ou (https://www.blv.admin.ch/blv/fr/home/lebensmittel-und-ernaehrung/lebensmittelsicherheit/stoffe-im-fokus/inhalts-und-zusatzstoffe/bisphenol-f.html) ou (https://www.rts.ch/play/radio/on-en-parle/audio/du-bisphenol-f-dans-la-moutarde?id=6780092).
Dans le troisième lien, un extrait d’une émission de radio, l’expert dit quelque chose de cocasse ou d’effarant selon : en disant que comme les effets du bisphénol F et du bisphénol A sont similaire et que l’exposition est du même ordre de grandeur alors il pense qu’on est peut-être trop alarmiste sur le bisphénol A. Mais votre billet apporte des données nouvelles sur notre exposition, donc affaire à suivre.