Les préférences alimentaires : Comment faire manger des fruits et des légumes aux enfants ?

« A food choice is always about more than just this one meal, here and now. It’s part of a bigger picture »

On nous rabâche partout de manger 5 fruits et légumes, mais comment faire quand mon enfant est difficile ? En effet, les légumes ont plutôt un goût amer, à l’opposé des biscuits ou de gâteaux qui procurent une sensation agréable et douce en bouche avec les graisses et le sucre (on parle de palatabilité). L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) recommande de diminuer les apports en sucres simples, sels et graisses et d’augmenter la consommation de fruits et de légumes. Tout d’abord, il est important de comprendre comment se construisent les goûts et pourquoi les enfants refusent de manger ces aliments. Ensuite, je vous livrerai quelques conseils.

Modifier l’alimentation d’un enfant nécessite de jouer sur les interactions complexes entre les préférences alimentaires innées et celles rapidement acquises, les normes culturelles, le comportement, les habitudes et l’alimentation des parents ainsi que des facteurs propres à l’enfant. Le régime alimentaire de l’enfant a un lien important avec la qualité du régime alimentaire du futur adulte.

La découverte de nouvelles saveurs

A partir de 6 mois (début du 7ème mois), la diversification alimentaire peut commencer, c’est-à-dire l’introduction d’autres aliments que  le lait maternel ou le lait infantile puisqu’ils ne suffisent plus à couvrir ses besoins (INPES). De plus, le bébé commence à avoir la capacité de mastiquer des aliments plus consistants. La phase d’apprentissage de nouvelles saveurs va commencer.

On peut constater que quand on donne du sucre à un bébé, il se met à sourire alors qu’ à l’inverse en lui mettant un goût amer il se mettra à pleurer. La préférence pour le sucré est innée et universelle chez les enfants (Mennella et al.). Dès 33 semaines après la naissance, l’ajout de sucre peut modifier la consommation du nourrisson.

Les enfants aiment également les plats salés. La préférence pour le sel serait plus flexible que celle pour le sucre. Elle serait affecté par l’état de santé de la mère par exemple : les mères avec des nausées et des vomissements de la grossesse importants auraient des enfants avec des apports en sel plus importants que les mères sans ces troubles de santé. Par contre, à la naissance le rejet de l’amertume est manifeste. Durant l’adolescence certains apprennent à aimer le thé, le café ou la bière, nous pouvons donc « apprendre à aimer » l’amertume et plus généralement, il est possible de tout apprendre en aimer en termes de goûts alimentaires.

Des hypothèses liées à l’évolution ont été soulevées :

  • l’appétence pour le sucre permettrait la recherche et la consommation d’aliments riches en énergie
  • le goût pour le sel pourrait être lié au fait que le sel est un conservateur

On parle de plasticité pour les goûts alimentaires. Par exemple, les enfants exposés plus régulièrement à de l’eau sucrée préfèrent les liquides plus sucrés à la différence des enfants non exposés. Ajouter du sucre à des aliments solides (pâtes, ricotta) peut augmenter l’acceptation d’un nouvel aliment (attention, je ne conseille pas du tout de mettre du sucre sur tous les aliments ! Mais cet effet a été observé).  De même, les enfants exposés précocement au sel sont plus à même de préférer les aliments salés.

Un transfert des saveurs de la mère à l’enfant ?

De nombreuses saveurs volatiles (Beauchamp 2011) sont transmises de la mère à l’enfant par le fluide amniotique ou/et le lait maternel. Cette exposition à ces molécules volatiles va modifier l’acceptation de nouveaux aliments chez le nourrisson. De plus, l’allaitement confère une meilleure acceptation des aliments sains comme les fruits et les légumes, si la mère en consommait dans son régime avant et pendant la lactation. De plus, les enfants allaités seraient moins difficile dans leurs choix alimentaires et essayeraient plus facilement de nouveaux aliments.

Comprendre la néophobie alimentaire

Lors de la présentation de nouveaux aliments, les enfants vont souvent rejeter cet aliment inconnu au premier abord. La néophobie alimentaire est définie comme le rejet d’aliments qui sont nouveaux ou inconnus de l’enfant. A la différence « l’enfant difficile » qui rejette une large proportion d’aliments familiers et nouveaux et qui a une alimentation peu diversifiée.

néophobie alimentaire refus manger exposition nouvel aliment

La néophobie alimentaire aurait comme origine un processus résultant de l’évolution : ce mécanisme de survie empêcherait les enfants de consommer des aliments toxiques (par exemple certaines baies) dans leur environnement immédiat. Pour éviter les plantes empoisonnées, les enfants rejetteraient naturellement le goût amer. Présenter un nouvel aliment peut donc provoquer de la peur ou un sentiment de rejet qui repose principalement sur la vue de l’aliment « qui n’a pas l’air bon ».

La vue est le principal sens utilisé avant de déguster un aliment. Si l’aliment est accepté visuellement, il sera goutté. Il s’ensuit une expérience positive ou négative selon la valeur subjective de l’enfant. Ce plaisir ou dégoût sera associé à l’image de l’aliment. Une expérience positive réduira la réticence à faire entrer ce nouvel aliment dans le régime. Le pic de néophobie alimentaire est entre 2 et 6 ans et décroit avec l’âge jusqu’à devenir stable chez l’adulte. Si l’aliment partage des caractéristiques visuelles d’aliments amères ou rappelle des expériences de déplaisantes ; il aura plus de chance d’être rejeté. Jusqu’à 10 à 15 expositions répétées à un nouvel aliment seraient nécessaires pour que cet aliment rentre dans le régime alimentaire de l’enfant.

néophobie alimentaire âge evolution enfant refus manger

La transition de l’alimentation exclusivement liquide à mixte, solide/liquide est toujours délicate. Présenter un nouvel aliment parmi un aliment familier pourrait être la solution optimale pour introduire un nouvel aliment pour accoutumer progressivement l’enfant. De plus, l’exposition répétée d’un aliment augmente généralement l’acceptation de cet aliment.

La texture bien que moins étudiée est un autre élément important : une exposition à de multiples textures alimentaires favoriserait une alimentation plus complexe et diversifiée.

Quelques stratégies d’apprentissage alimentaire

pyramide Maslow besoins needDans la pyramide des besoins de Maslow, le besoin énergétique physiologique (càd répondre à la faim) est une des priorités les plus importantes.

La consommation de certains aliments hautement énergétiques provoque souvent un sentiment de satiété et de bien-être, d’avoir répondu à ses besoins énergétiques (système de récompense), ce qui renforce le goût pour ce type d’aliments. On parle d’apprentissage du goût par nutriment « taste-nutrient learning ». D’autres stratégies d’apprentissage existent telles que :

  • taste-taste learning : si un nouvel aliment non familier est combiné avec un aliment dont la préférence pour celui-ci existe déjà, ce nouvel aliment sera beaucoup plus accepté par l’enfant. Par exemple, servir du thé ou du yaourt avec un peu de sucre pour une première fois sera beaucoup plus « accepté » que faire goûter du yaourt nature (attention bien sûr à ne pas l’habituer au sucre) ou introduire de la purée de carotte dans al purée de pomme de terre.

  • taste-environment learning : le cadre sociale et l’environnement physique lors de la présentation d’un nouvel aliment joue beaucoup. Si l’ambiance est festive et joyeuse, l’aliment sera plus facilement accepté. Il sera associé à un bon moment.

Une dernière stratégie d’apprentissage est également importante :

  • observationnal learning : l’enfant observe ce que mange ses amis, parents et les autres de manière général et va se comporter de la même manière qu’eux. Il peut arriver qu’un enfant après qu’il soit passé par la cantine se mettent à détester les choux de Bruxelles alors qu’il en mangeait auparavant, juste parce que ses amis n’aiment pas les choux de Bruxelles et « l’ont dégoûté ».

Birch 1995 a aussi identifié 3 modes d’alimentation des parents envers l’enfant :

  • Autoritaire : alimentation très contrôlée.
  • Permissive : où l’enfant n’a quasiment pas de limite.
  • Autorisée : où les parents posent des limites de façon modérée.

Les parents trop autoritaires qui forcent leur enfant à manger tel aliment auraient un comportement contre productif.

Quelques déterminants des préférences alimentaires

Les goûts et préférences sont principalement modifiables durant l’enfance et l’adolescence.

Les facteurs personnels

Un des déterminants majeurs dans le choix alimentaire est la motivation et l’intention. La motivation ou l’intention sont influencées par les conséquences positives ou négatives attendues d’un comportement/d’un acte. En général, les conséquences à court terme sont plus importantes que les attente à long terme dans l’esprit du consommateur. Par exemple, on imaginera facilement le plaisir de déguster un carré de chocolat que les effets bénéfiques à long terme de manger des brocolis. Par exemple, le goût, la satiété et le plaisir sont des conséquences à court terme.

Les goûts sont les déterminants clefs du choix alimentaire. Certains goûts alimentaires sont innés pour le sucre ou le sel ou le rejet de l’amertume, mais les préférences alimentaires peuvent être apprises, oubliées, modifiées, réapprises : on peut donc réapprendre à aimer quelque chose.

La faim et l’appétit sont également une forte motivation pour manger.

La motivation et l’intention sont des déterminants importants du comportement alimentaire. Une personne porte des jugements personnels sur ses propres capacités d’actions sur elle-même et l’environnement en fonction de ses croyances qu’elle a sur elle-même. On parle de notion d’auto-efficacité (SEP Sentiment d’efficacité personnelle) qui vient de la capacité d’autoréflexion. L’efficacité personnelle est la croyance de l’individu à exécuter un comportement pour produire des résultats souhaités. C’est un déterminant important dans la motivation.

Les connaissances des recommandations nutritionnelles favorise également la consommation d’aliments bons pour la santé.

L’environnement

L’environnement socioculturel joue sur les normes alimentaires, le comportement par mimétisme. La pression sociale joue sur nos habitudes alimentaires. L’environnement social (parents, amis – observer ce que mangent les autres) influence les choix de l’enfant. On parle de « modelling ». Des études ont montré que la consommation en fruits et légumes de la mère (ou de celui qui prépare le repas) est associée à celle de l’enfant (Gibson et al. 1998).

L’environnement physique joue sur la disponibilité des aliments et le manque d’opportunité de consommer un aliment : quand la disponibilité est faible, l’exposition aux fruits et légumes est limitée ce qui aurait tendance à diminuer les préférences alimentaires pour les fruits et les légumes. Autre exemple : la présence de distributeurs de snack et soda à l’école en favorise la consommation.

L’environnement économique réfère aux prix des produits alimentaires. Plus le produit alimentaire est cher, moins on aura tendance à le consommer. Exemple : les taxes sur les sodas sucrés

L’environnement politique fait référence à la législation qui autorise ou non certains produits avec les interdictions de distributeurs à l’école. Cela traite également des règles dans la famille.

L’environnement au niveau global : la publicité marketing alimentaire est abondante et omniprésente : à la télé, à la radio, dans la rue, sur internet… Les produits alimentaires les plus riches en sucre et graisse sont ceux qui reçoivent le plus de cette publicité.

determinant consommation alimentaire choix preferences

Quelques conseils

Une consommation accrue de fruits et de légumes est associée à :

  • Présenter de manière répétée des fruits et des légumes dans un contexte positif (de manière ludique)
  • Faire goûter à l’enfant de nouvelles saveurs, de nouveaux aliments progressivement l’exposer à une grande variété de fruits et légumes.
  • Servir les fruits/légumes sous une autre forme plus ludique : jus, smoothie, dans une quiche, soupe, des légumes découpés dans des formes amusantes…
  • Un comportement actif des parents : encourager et favoriser les opportunités de consommer des fruits et légumes, en acheter à la maison
  • Connaître et faire connaître les recommandations alimentaires aux enfants
  • Améliorer les connaissances des apports recommandés en fruits et légumes
  • Inviter l’enfant à participer à faire la cuisine et préparer le repas pour qu’il soit plus familier avec les fruits et les légumes
  • Garder en mémoire que la perception peut différer de la vôtre
  • Associer de nouveaux aliments avec des saveurs/d’autres aliments qu’il aime
  • Être un bon modèle : les enfants ont plus tendance à consommer ce qu’ils voient les autres consommer
  • Ne pas les obliger à manger, cela rendrait la première expérience négative. On garde beaucoup plus facilement en mémoire une expérience négative

Pour suivre les autres actualités du blog ou en apprendre plus sur les controverses alimentaires, santé et environnement, un petit like :

Source :

Dovey et al. – Food neophobia and ‘picky/fussy’ eating in children : a review – Appetite 50 (2008) 181-193

J.A. Mennella – Ontogeny of taste preferences: basic biology and implications for health –  Am J Clin Nutr. 2014 Mar;99(3):704S-11S. doi: 10.3945/ajcn.113.067694. Epub 2014 Jan 22

Brug J, Tak NI, te Velde SJ, Bere E, de Bourdeaudhuij I – Taste preferences, liking and other factors related to fruit and vegetable intakes among schoolchildren: results from observational studies – Br J Nutr. 2008 Feb;99 Suppl 1:S7-S14. doi: 10.1017/S0007114508892458

Philippe Carré – Bandura : une psychologie pour le XXIe siècle ? Savoirs 2004/5 (Hors série)

Blanchette L, Brug J – Determinants of fruit and vegetable consumption among 6-12-year-old children and effective interventions to increase consumption –  J Hum Nutr Diet. 2005 Dec;18(6):431-43 – https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/16351702

INPES – Le Guide de la Nutrition de la naissance à 3 ans – http://inpes.santepubliquefrance.fr/CFESBases/catalogue/pdf/890.pdf

Gwen Dewar, Ph.D – Evidence-based tips for getting kids to eat good foods – 2009-2013 http://www.parentingscience.com/picky-eater.html

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.