Pesticides à proximité des habitations : quelle distance d’épandage choisir pour éviter les dérives ?

Le gouvernement français a proposé de fixer une distance minimale entre 5 et 10 mètres entre les zones de pulvérisation de pesticides et les zones résidentielles. Les citoyens ont trois semaines pour donner leur avis.

La dérive de phytosanitaire (« pesticide drift ») est le mouvement de gouttelettes de pesticides en suspension ou adhérent à des particules dans l’air et leur dépôt accidentel en dehors de la zone visée. Cette dérive peut également avoir lieu sous forme de vapeur invisible où les gouttelettes se sont évaporées. La dérive est un problème parce qu’elle peut rendre le traitement phytosanitaire moins efficace et peut poser des problèmes sanitaires pour les organismes non ciblés (« off target ») comme des plantes sensibles, des animaux sauvages, des biens…

L’expertise collective de l’INSERM écrivait en 2013 « l’exposition à proximité  des lieux d’épandage est considérée comme non négligeable. L’analyse de l’ensemble des mesures réalisées par les Associations agréées de surveillance de la qualité de l’air (AASQA) au début des années 2000 a montré une importante saisonnalité de la présence de pesticides dans l’air, plus faible en hiver, et plus forte au printemps et en arrière-saison. Ces résultats  suggèrent  un  lien  important  entre  les  activités  d’épandage  agricole  et  la  présence  de  pesticides  dans  l’air  extérieur.  » D’après l’INSERM, la présence de pesticides dans l’air est généralement corrélée aux périodes de traitement de culture. Et il est possible de retrouver des résidus dans les poussières des maisons ou l’urine des habitants. Un dosage urinaire estime une imprégnation en pesticides intégrant l’ensemble des voies de contamination possibles. Cependant, il faut toujours ramener ces niveaux d’exposition (urinaire par exemple) à une valeur toxicologique de référence pour évaluer le risque (= exposition x niveau de danger).

Quels sont les facteurs influençant la dérivé des pesticides ?

Celle-ci est influencée par :

  •  des facteurs météorologiques : vitesse du vent, stabilité atmosphérique, turbulence, température et humidité
  • des facteurs liés à l’application des pesticides : type de pulvérisateur, type de buse, taille de la buse, pression de la buse, hauteur de libération, angle auquel les pesticides sont épandus et vitesse de conduite
  • la formulation : les additifs, la densité, la viscosité, la volatilité

Impact du vent et de la taille des gouttelettes de pesticides

Par exemple, plus les gouttelettes sont petites (moins de 200 micromètres), plus le pesticide a tendance à dériver (évaporation). Des gouttelettes trop grossières (>400 micromètres) entraîneront un ruissellement. En général, les buses à jet conique produisent des particules plus fines que la plupart des buses à jet plat utilisées en horticulture, car elles fonctionnent à pression élevée et produisent un effet de cisaillement dû au système pneumatique et leur jet a une plus longue portée.

Ces courbes sont issues de simulation mais on visualise bien que plus la taille des gouttelettes de pesticide est petite, plus ils se dispersent loin

La dérive augmente par temps chaud et sec. Le sol chaud peut également créer des courants de convection ascendants. Lors d’un vent nul, la situation n’est pas favorable à une pulvérisation parce que la dérive va se produire sous forme de vapeur. Lors d’un vent fort latéral, il faut pulvériser avec précaution pour éviter que cela dépote le pesticide.

Plus la vitesse du vent augmente, plus les pesticides volent loin

L’impact de la stabilité atmosphérique : les inversions de T°

En conditions normales, l’air chaud s’élève et se rafraîchit puis il redescend dans une cellule de convection. C’est la turbulence thermique, un moyen rapide de dilution des particules en suspension de pesticides. On a un gradient de température décroissant en s’élevant en altitude.

Durant les périodes d’anticyclone en hiver durant la nuit, le sol se refroidit rapidement et l’air au sol de refroidit. L’air plus chaud s’élève et enferme l’air plus froid en basse altitude comme un couvercle. C’est ce qu’on appelle une inversion de température. La pollution est généralement piégée dans cette couche d’air froid.

Lors des inversions de température, les particules de pesticide peuvent s’accumuler sous la couche d’inversion. Lorsque cette inversion disparaît, ces gouttelettes peuvent se disperser sur de longues distances. La dérive de pulvérisation (ou vapeur) reste concentrée dans l’air frais dans lequel elle a été émise. Et l’air frais et dense tend à descendre ou à se déplacer latéralement avec des vents légers, emportant avec lui les éventuelles particules de dérive de pulvérisation.

Il est donc important de faire attention aux conditions météorologiques et aux conseils d’utilisation des pesticides (dans les notices) avant de pulvériser. Il est possible de mettre en place des zones tampons, c’est à dire des zones où on n’épand pas de pesticides afin de limiter la propagation dans les zones résidentielles.

Exemple d’études sur la dispersion des pesticides

Des chercheurs du Danemark ont étudié la propagation de 10 pesticides pulvérisés par un tracteur (Carlsen 2006). Ils ont détecté des dépôts de pesticides jusqu’à 150m de la source. Entre 0 et 2m de la source, les dépôts étaient en faibles quantités entre 0,1 et 9% de la quantité de départ. Et entre 0 et 3 mètres de la source, il y avait entre 0,02 et 4% de pesticides.

Ils ont également utilisé l’équation de Rautmann et al. 2001 (50 essais agricoles et 72 sur des fruits) pour modéliser le comportement du pesticide.

y=2.7705 x-0,9787

r²=0,9873 y= dérive en kg/ha x=distance à la source en mètres

On constate que plus on s’éloigne de la source d’épandage (la distance augmente), moins on a de résidus de pesticides détectés dans l’air

Deux autre études montrent que les expositions aux pesticides des populations étaient largement corrélées à leur lieu de résidence, et plus précisément à la distance qui sépare leur lieu de résidence des surfaces agricoles consommatrices de pesticides (Koch, 2002 ; Bell, 2001)

  • Étude cas-témoin de Bell 2001 avec 73 cas de décès suite à des anomalies congénitales et 611 nourrissons contrôles en Californie. Des associations (Odds Ratios OR) pour ce risque de décès ont été identifiées avec une exposition aux hydrocarbures halogénés
  • Étude de Koch (2002) sur 44 enfants de 2 à 5 ans recrutés dans une clinique à Washington. Les teneurs en métabolites de dialkylphosphate urinaires (des produits de dégradation par le métabolisme des pesticides organophosphorés) étaient plus importantes lors des mois d’épandage de pesticides que des mois sans pulvérisation. Il avait donc un effet temporel mais pas d’effet géographique (proximité près des champs)

Face à ces potentiels risques de dérives de pesticides, certains pays/régions ont légiféré en mettant en place des zones tampons (Gunier 2017).

Mise en place de distances tampons de pulvérisation de pesticides

En France et dans l’Union Européenne

En France, c’est l’ANSES, Agence Nationale de Sécurité Alimentaire qui est en charge d’évaluer les risques liés aux pesticides. Dans son dernier avis scientifique de Juin 2019, celle-ci recommande de mettre en place des distances de sécurité minimales de 3-10m pour les grandes cultures avec un pulvérisateur à rampe et de 10m pour les vergers et pour les vignes avec un pulvérisateur à jet porté. Cela permettrait de limiter l’exposition des résidents pendant ou après application des pesticides.

En cas de produits cancérigènes ou perturbateurs endocriniens, elle recommande des distances de sécurité accrues.

Ces recommandations s’appuient sur celles de l’EFSA (Autorité Européenne de Sécurité Alimentaire) et sur l’étude de 1987 de Lloyd et al. qui portait sur la dérive de pesticides dans les vergers : je n’ai pas retrouvé la publication originale.

Actuellement la pulvérisation de pesticides près de lieux scolaires et des hôpitaux et des maisons de retraite est réglementée par les articles 1° et 2° L. 253-7-1 du code rural et de la pêche maritime que je vous cite :

  • L’utilisation des produits mentionnés à l’article L. 253-1 (les produits phytosanitaires avec des exceptions) est interdite dans les cours de récréation et espaces habituellement fréquentés par les élèves dans l’enceinte des établissements scolaires, dans les espaces habituellement fréquentés par les enfants dans l’enceinte des crèches, des haltes-garderies et des centres de loisirs ainsi que dans les aires de jeux destinées aux enfants dans les parcs, jardins et espaces verts ouverts au public
  • l’utilisation de pesticides dans des centres hospitaliers et hôpitaux, des établissements de santé privés, des maisons de santé, des maisons de réadaptation fonctionnelle, des établissements qui accueillent ou hébergent des personnes âgées et des établissements qui accueillent des personnes adultes handicapées ou des personnes atteintes de pathologie grave exige des mesures de protection telles que des haies et/ou des équipements pour le traitement ou des dates et horaires de traitement. Autour de ces lieux, il y a également une distance de sécurité de 50m.

En Slovénie

La Slovénie a mis en place des mesures de prévention similaire avec une distance de 20 mètres lorsqu’un ventilateur et un pulvérisateur à dos sont utilisés sans équipement supplémentaire destiné à limiter la dérive ou l’utilisation de haies. Cette distance est réduite à 5 mètres quand des buses anti-dérives sont utilisées.

En Wallonie en Belgique

La Wallonie interdit de pulvériser des pesticides quand la vitesse du vent est supérieure à 20 km/h (ou échelle 3 de Beaufort). Elle interdit également de pulvériser à moins de 50 mètres des cours de récréations, des écoles, des internats, des crèches durant les heures de fréquentation de ceux-ci. Il y a également des zones tampons de 6m près des eaux de surface et le long des terrains revêtus non cultivables reliés à un réseau de collecte des eaux pluviales, sur une largeur d’un mètre (arrêté du 14/06/2018).

En Allemagne

La distance de sécurité de pulvérisation de pesticides est de 2 mètres pour les cultures basses et de 5 mètres pour les cultures hautes.

Au Royaume-Uni (UE)

Il n’y a pas de distances obligatoires de sécurité tant que les agriculteurs respectent les conditions d’utilisation du pesticide et les conseils du code de bonnes pratiques pour l’utilisation de produits phytopharmaceutiques

En Californie, aux Etats-Unis

Aux États-Unis, il y a une recommandation de zone tampon près des cultures bio afin de ne pas les contaminer, mais il n’y a pas de distances données.

Le département de régulation des pesticides en Californie limite les épandages de pesticides près des écoles ou les crèches avec une zone tampon de 7m (pour les pulvérisations au sol) à 400m (1 320 pieds, pour les pulvérisations par avion). Il n’y a pas de distance minimale pour l’usage de pesticides en serre ou durant les jours où il n’y a pas d’école (36h entre l’épandage et le 1er jour d’école). Il est possible pour les écoles et les agriculteurs de passer des accords de dérogation.

En Australie

En Australie, des zones tampons sont obligatoires près des zones résidentielles entre 40 mètres (si il y a un buisson/une barrière naturelle de taille suffisante) et 300-500 mètres (selon le type de culture).

Pourquoi la Californie semble avoir des règles plus contraignantes que le reste des États-Unis ?

Il y a vraisemblablement des usages différents d’en Europe : les épandages par avion sont beaucoup plus courants à cause de plus grandes superficies de cultures. Il y a également beaucoup d’études scientifiques en Californie sur la dérivé des pesticides et la santé des résidents.

Ce sont principalement des études observationnelles humaines (principalement des cas-témoins sauf pour l’étude CHAMACOS) qui ont identifié des problèmes d’asthme, de défauts gestationnels, d’autisme associés statistiquement à des usages de pesticides à proximité des zones résidentielles (jusqu’à 5km). Voici un tableau résumé :

Petit rappel pour lire ce tableau : le but d’une étude dite « cas-témoin » en épidémiologie est de comparer la fréquence d’exposition antérieure à un ou plusieurs facteurs (ex: les pesticides) dans un groupe de cas (les malades, par exemple, ceux atteints d’autisme) avec un groupe de témoins (non malades). Cet étude cas-témoin permet de calculer l’odds ratio (OR, le rapport de cote) qui est une bonne approximation du risque relatif lorsque la maladie est rare dans la population (<5%). Dans ce cas il s’interprète comme un Risque Relatif (RR) :

  • RR=1 : absence de relation entre le facteur de risque et la maladie
  • RR>1 : risque accru de maladie (facteur de risque) dans le groupe exposé vs le non-exposé [ici aux pesticides]. Il y a donc une association statistique
  • RR<1 : risque réduit de maladie (facteur protecteur) dans le groupe exposé vs le groupe non-exposé. Il y a donc une association statistique
  • les valeurs entre [ – ] à côté de l’OR représentent l’intervalle de confiance, la probabilité que la valeur de l’OR soit dans cet intervalle à 95% de chance.
Par exemple, dans l’étude CHAMACO sur le soufre, on voit que les OR sont supérieurs à 1, il y a donc un risque accru (rapport de cote) d’asthme dans le groupe des personnes exposés au Soufre versus celui non-exposé dans un périmètre de <1km

Il y a bien sûr des limites à avoir à l’esprit dans ces études observationnelles qui ne démontrent pas de lien de causalité. Il n’y a pas non plus d’analyse sur plusieurs années (longitudinales) pour évaluer le risque relatif (hazard ratio). Les rapports de côtes (Odds Ratio en anglais) sont approximés au risque relatif quand l’incidence du problème de santé est très faible. Ces études sont également localisés en Californie principalement donc pas forcément directement extrapolable à la France comme les pratiques culturales diffèrent.

Voilà vous avez donc quelques éléments pour participer à la consultation publique sur les dérives des pesticides et la protection des riverains :

http://www.consultations-publiques.developpement-durable.gouv.fr/consultation-publique-sur-un-projet-de-decret-et-a2032.html

Pour suivre les autres actualités du blog ou en apprendre plus sur les controverses alimentaires, santé et environnement, un petit like ou sur Twitter :

Sources :

ANSES. Avis de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation,d e l’environnement et du travail relatif à une demande d’appui scientifique sur les mesures de protection des riverains lors de l’utilisation des produits phytosanitaires (14 juin 2019)

Zhu, H., D.L. Reichard, R.D. Fox, R.D. Brazee and H.E. Ozkan. 1994. Simulation of drift of discrete sizes of water droplets from field sprayers. Transactions of the ASAE 37(5):1401-1407

Koch D et al. 2002 : Temporal association of children’s pesticide exposure and agricultural spraying

Gunier RB, Bradman A, Harley KG, Eskenazi B (2017) Will buffer zones around schools in agricultural areas be adequate to protect children from the potential adverse effects of pesticide exposure? PLoS Biol 15(12): e2004741.

Carlsen, S.C.K.; Spliid, N.H.; Svensmark, B. Drift of 10 herbicides after  tractor  spray  application.  2.  Primary  drift  (droplet  drift).Chemosphere2006,64(5), 778–786.

Felsot, A. S., Unsworth, J. B., Linders, J. B. H. J., Roberts, G., Rautman, D., Harris, C., & Carazo, E. (2010). Agrochemical spray drift; assessment and mitigation—A review*. Journal of Environmental Science and Health, Part B, 46(1), 1–23.

Thistle HW. Atmospheric stability and the dispersion of pesticides. J Am Mosq Control Assoc. 1996 Jun;12(2 Pt 2):359-63.

INSERM Expertise collective 2013 Pesticides : Effets sur la santé

Agence de protection environnementale de Californie (juin 2017). https://www.cdpr.ca.gov/docs/enforce/school_notify/regulation_presentation.pdf

Australian governemnt. Spray drift risk assessment manual. https://apvma.gov.au/sites/default/files/publication/28076-28076-spray_drift_risk_assessment_manual_alt_text_final_6.pdf

Australian government. Guidelines for separation of agricultural and residential land uses https://ww2.health.wa.gov.au/Articles/F_I/Guidelines-for-separation-of-agricultural-and-residential-land-uses

Fédération Wallonie-Bruxelles. Circulaire n°5223du 30/03/2015 https://www.gallilex.cfwb.be/document/pdf/40493_000.pdf

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