Origines et génétique de l’intolérance au lactose et pression de sélection
Une étude publiée dans Nature soutient que les populations européennes consommaient du lait des milliers d’années avant que les humains ne développent un trait génétique permettant de digérer le lactose du lait. Ce trait génique correspond à la présence de la lactase, une enzyme permettant de digérer le lactose du lait. Synthèse disponible sur mon instagram @ThibSciences : https://www.instagram.com/p/Cg6qg9RKrGz/
A partir d’analyses génétiques d’individus préhistoriques, ils n’ont pas trouvé d’association entre la consommation de lait et la persistance de la lactase. Une analyse génétique plus récente dans la UK Biobank sur 300 000 individus n’a pas trouvé de différences de consommations de lait entre les personnes génétiquement persistantes et non persistantes à la lactase. Les chercheurs font l’hypothèse que les famines et maladies ont participé à la sélection de la persistance à la lactase
Qu’est-ce que l’intolérance au lactose ?
Elle est souvent découvert à cause d’inconforts intestinaux, de ballonnement, flatulence voire diarrhée après avoir consommé du lait ou un produit laitier. L’intolérance au lactose est une conséquence de l’insuffisance de l’activité enzymatique de la lactase nécessaire à l’absorption du lactose contenu dans le lait et les produits laitiers. Le lactose, principal sucre du lait, est un disaccharide formé par l’union d’une molécule de glucose et de galactose. Son absorption nécessite au préalable une hydrolyse réalisée par la lactase. Il existe donc deux types de phénotypes : des personnes capables de digérer le lactose grâce à la lactase et celles qui ne peuvent pas la digérer.

Au cours des premières années de vie, tous les individus produisent de la lactase mais entre le sevrage et l’adolescence, sa production peut disparaître chez les individus non persistants à la lactase. Aujourd’hui, la fréquence de la persistance de la lactase à l’échelle mondiale est estimée à 35% mais varie considérablement suivant les populations. Dans les îles britanniques et en Scandinavie et en Afrique de l’Ouest, la persistante de la lactase est présente entre 89% et 96% des individus

L’intolérance au lactose est associé à la mutation LCT T-13910C. À la position 13910 au gène LCT (codant la LaCTase), les intolérants au lactose ont le nucléotide C alors que ceux qui tolèrent le lactose ont le nucléotide T. La mutation T a une répartition géographique spécifique reflétant les différentes forces de sélection génétique ou/et différents processus démographiques. On a une bonne corrélation entre la tolérance au lactose et la mutation T en Europe mais celle-ci n’est pas aussi évidente en Afrique ou au Moyen Orient.

Comment cette tolérance au lactose a été sélectionné au cours de l’évolution ?
Jusqu’à présent, on supposait généralement que la tolérance au lactose était apparue parce qu’elle permettait aux gens de consommer plus de lait et de produits laitiers mais cette hypothèse est remise en question.
Une étude dans Nature a analysé les résidus de graisse laitière détectés dans de 13 181 poteries de 554 sites archéologiques représentant les 9000 dernières années. Ils ont pu estimer la consommation de lait à l’ère préhistorique de 7000 ans avant JC jusqu’à 1500 après JC. Cela leur a permis de suivre l’essor et la chute de l’élevage laitier dans diverses régions européennes. Voici la répartition géographique des prélèvements :

Au Néolithique, l’exploitation du lait est arrivée dans le bassin méditerranée (sauf dans la région de la Grèce moderne) avant de diminuer. La Grande Bretagne était parmi les plus grands consommateurs alors que dans les Balkans la consommation du lait était faible. Les données suggèrent une consommation importante du lait entre 5500 avant JC jusqu’à 1500 dans l’Ouest de la France, le nord de l’Europe et les île britanniques.

Les fluctuations de consommation de produits laitiers au fil du temps ne correspondent pas aux changements dans la persistance de la lactase. Les analyses ADN de 1700 individus préhistoriques ont montré que la persistance de la lactase a été détectée pour la 1ère fois 4700 ans avant JC et a commencé à augmenter en fréquence à partir de 2000 avant JC de façon variable selon les régions

Les données modernes contredisent l’hypothèse de l’avantage de la lactase dans la consommation de lait. Ils ont analysé les associations entre la consommation de lait et la tolérance au lactose auprès de 300 000 personnes âgées de 37-73 ans de la cohorte UK Biobank recrutées entre 2006 et 2010. 92% des participants intolérants au lactose consomment du lait et 2,5% du lait sans lactose. La persistance de la lactase semble avoir un faible effet sur la consommation de lait. L’analyse de la UK Biobank montre que le profil génétique associé à la tolérance au lactose était faiblement associé à la consommation de lait (les carrés en bleu) et n’était pas associé à la mortalité. Les individus tolérants au lactose suivaient moins de régime sans lactose

Les chercheurs ont suggéré que la maladie et la famine pourraient avoir transformé l’intolérance au lactose d’inconfortable en mortelle, entraînant des périodes de sélection intense pour ce trait digestif.En cas de malnutrition, si vous êtes intolérant au lactose et que vous consommez du lait, la diarrhée peut avoir des effets plus graves voire donner la mort. Les résultats soutiennent l’idée que l’élevage laitier à lui seul n’était pas la principale force derrière la propagation de la persistance de la lactase, selon les chercheurs : la pression de sélection n’a probablement augmenté que lorsqu’elle est combinée à la maladie et à la famine.
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Sources : Evershed, Richard P et al. “Dairying, diseases and the evolution of lactase persistence in Europe.” Nature, 10.1038/s41586-022-05010-7. 27 Jul. 2022, doi:10.1038/s41586-022-05010-7
Gerbault, Pascale et al. “Evolution of lactase persistence: an example of human niche construction.” Philosophical transactions of the Royal Society of London. Series B, Biological sciences vol. 366,1566 (2011): 863-77. doi:10.1098/rstb.2010.0268
Très bonne synthèse, merci !
La question que je me pose toujours est: est-ce qu’on peut ingérer un complément alimentaire qui remédierait au manque de lactase ?
Merci pour cet article! J’étais persuadée que tolérance au lactose et consommation de lait était fortement lié ! Merci pour cette découverte!
Mais cela soulève une question : est il nécessaire que l’être humain boive du lait tout au long de sa vie?