Un monde sans élevage, sans produits alimentaires animaux, est-ce envisageable ?

La demande en produits d’origine animale augmentera de 70% d’ici à 2050 dans le monde (FAO). L’élevage contribue de façon non négligeable aux émissions de gaz à effet de serre tout en étant une bonne source de qualité protéique et en rendant certains services écosystémiques.

Quelles seraient les conséquences nutritionnelles et sur la production de gaz à effet de serre d’une agriculture sans l’élevage ?

Le Département de l’Agriculture des États-Unis (USDA, United States Department of Agriculture) et une équipe de Virginia Tech ont simulé et analysé les conséquences d’un passage de la population Américaine entière à un régime alimentaire sans produits animaux dans la revue scientifique Proceedings of the National Academy of Sciences. La consommation de la viande et l’élevage sont un sujet complexe qui peut déchaîner les passions.

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Le débat sur l’élevage en bref

L’élevage est critiqué surtout sur le plan environnemental et du bien-être animal et dernièrement la santé (avec les liens suspectés entre la viande rouge, la viande transformée et un risque accru de cancer colorectal dans un dernier rapport du CIRC Centre International de Recherche contre le Cancer). De plus, le bétail est nourri avec des céréales qui pourraient entrer dans l’alimentation humaine.

Les animaux d’élevage sont également traités aux antibiotiques, ce qui soulève un problème de résistance acquise des bactéries aux antibiotiques. Sur le long terme, cela pourrait réduire les possibilités de traitements infectieux sans découverte de nouveaux antibiotiques.

relations agricuture societe elevage production animale vegetale industrieUn rapport de la FAO avait incriminé l’élevage comme un des principaux émetteurs de gaz à effet de serre (14,5% des émissions liées aux activités humaines) participant au réchauffement climatique. Les principaux contributeurs sont la production et la transformation des aliments pour les animaux (45% du total) et la fermentation entérique des ruminants (39% du total). Les principaux gaz rejetés sont le méthane CH4, le dioxyde nitreux et le dioxyde de carbone.

Cependant les animaux permettent de valoriser certains coproduits de l’agriculture qui ne sont pas consommables par l’homme. Ils permettent également de valoriser certains pâturages non cultivables. Les animaux permettent également de produire plus que de la viande : beaucoup de produits (cuir, laine, cosmétiques, adhésifs, colles, bonbons, sucres raffinées, textiles, films photographique, papier etc…) sont produits à partir de dérivés de produits animaux. Par ailleurs, il faut faire attention à distinguer les différents types d’élevage du feed-lot américain (très intensif et largement critiquable par rapport au bien-être animal) de l’élevage en cage ou en plein air ou en pâturage en montagne.

L’élevage rend également plusieurs services écosystémiques (dont il faudrait trouver des alternatives en cas de suppression de l’élevage) : le maintien du paysage, la séquestration du carbone par les prairies, une source de matière organique pour les sols et participation au cycle de l’azote ou  valorisation des végétaux non consommables par l’homme.

D’ailleurs, il ne faut pas oublier que 1 milliard de personnes qui vivent en dessous du seuil de pauvreté dans le monde dépendent de l’élevage (FAO) pour leurs apports en protéines, se nourrir et gagner leur vie.

L’USDA a donc testé un scénario où on élimine complètement les animaux de l’agriculture.

Un monde sans animaux dans l’agriculture

Adéquation nutritionnelle ?

Les produits alimentaires animaux contribuent à 24% des apports en énergie, 48% pour les protéines, 23 à 100% pour les acides gras indispensables (EPA, DHA), 34-67% pour les acides aminés indispensables. Plus de 50% des produits vecteurs de calcium, de vitamines A, B12 et D, choline et riboflavine sont d’origines animales.

Retirer complètement les animaux permettraient de produire plus d’aliments en quantités 320×109kg d’aliments (sans animaux) vs 260×109kg d’aliments (avec animaux). Cette augmentation en quantités de 23% est surtout caractérisée par une augmentation de la production de céréales avec le maïs et le soja.

Dans le scénario sans les animaux, les ressources alimentaires ne permettent plus de couvrir les besoins de la population américaine pour les vitamines A et B12, l’EPA et le DHA. Des compléments alimentaires peuvent être utilisés pour combler ces déficiences.

Les auteurs ont également simulé deux scénarios avec une optimisation du prix des régimes pour obtenir un régime le moins cher possible (least-cost diet) et qui produit le moins de CO2 équivalent. Dans le cas d’un régime peu cher, passer à un régime 100% végétal fait augmenter de 10 fois la part des céréales dans le régime (27% à 85%). Dans ces régimes bon marchés (avec animaux ou sans animaux), les besoins en vitamine D,E et K ne sont plus couverts. Dans les régimes végétaux, des carences au niveau de la population apparaissent pour le calcium, la vitamine A et B12, l’EPA et le DHA en plus.

  • Le régime 100% végétal peut subvenir aux besoins nutritionnels au niveau individuel mais au niveau de la population (comme dans ces précédents scénarios), cela devient beaucoup plus compliqué d’après l’USDA. De plus, les disparités en terme de climats et sols rendent difficiles dans certains cas la conversation de terres d’élevage en champ de cultures. A l’échelle mondiale, dans les pays pauvres, les animaux d’élevage sont une source de protéines de bonne qualité (bon profil d’acides aminés indispensables).

  • De précédents études (Cifelli et al. 2016, Payne et al.) ont également observé que le régime végétaux qui réduisent les gaz à effet de serre ont souvent une moins bonne qualité nutritionnelle avec plus d’apports en glucides mais moins de micronutriments.

  • Il faudrait également considérer la biodisponibilité qui n’est pas prise en compte ici. Pour certaines nutriments fer, zinc, protéines et vitamine A, cela varie pour les animaux et les végétaux.

  • Cependant d’autres études (McGirr et al.) ont montré que les régimes végétariens permettraient de réduire les risques de maladies cardiovasculaires et d’obésité.

Comparaison régime avec sans viande elevage
Traduit de l’USDA

Coûts, gaz à effet de serre

Au niveau individuel, les régimes végétaux (avec importations prises en compte) produisent moins de gaz à effet de serre avec une analyse du cycle de vie et ont un coût par personne moins important que les régimes animaux.

Les animaux contribuent à 49% des émissions de GES (gaz à effet de serre) pour l’agriculture, la production de céréales à 40% pour les céréales, 0.3% pour les légumineuses, 5% pour les légumes et 2% pour les fruits. Éliminer les animaux de l’agriculture permettrait une réduction de 28% des émissions de GES (passage de 622 milliard de kg CO2 à 446 milliards de kg CO2 eq. En effet, si on supprime les animaux, on supprime également les fertilisants d’origine animale (fumier qui représentent environ 23,2 milliards de kg CO2 eq). Cette suppression nécessiterait un remplacement par des alternatives (autres que des engrais synthétiques si possible).

La suppression de l’élevage n’est donc pas si simple à mettre en place. Opposer la production animale et la production végétale n’est pas sain, il faut se tourner vers un élevage avec des pratiques plus durables ou des alternatives protéiques (viandes de synthèses, légumineuses, algues, insectes…). S’il peut s’imposer facilement comme un choix individuel, au niveau du collectif, c’est vraiment différent. En effet, de nombreuses personnes dans les pays très pauvres dépendent très largement de l’élevage pour vivre. A l’inverse dans les pays développés, réduire la consommation de viande (et non pas supprimer entièrement) est à envisager.

Pour suivre les autres actualités du blog ou en apprendre plus sur les controverses alimentaires, santé et environnement, un petit like :

FAO – Augmentation des émissions de gaz à effet de serre dans l’agriculture http://www.fao.org/news/story/fr/item/216994/icode/

Robin R. White, Mary Beth Hall. Nutritional and greenhouse gas impacts of removing animals from US agriculture. Proceedings of the National Academy of Sciences, 2017; 114 (48): E10301

McGirr C, McEvoy CT, Woodside JV (2017) Vegetarian and vegan diets: Weighing the claims. Nutrition Guide for Physicians and Related Healthcare Professionals (Springer,Berlin), pp 203–21

Cifelli CJ, Houchins JA, Demmer E, Fulgoni VL (2016) Increasing plant based foods or dairy foods differentially affects nutrient intakes: Dietary scenarios using NHANES 2007–2010. Nutrients 8:422

Payne CL, Scarborough P, Cobiac L (2016) Do low-carbon-emission diets lead to higher nutritional quality and positive health outcomes? A systematic review of the literature. Public Health Nutr 19:2654–2661

https://data.oecd.org/agroutput/meat-consumption.htm

Une réflexion sur “Un monde sans élevage, sans produits alimentaires animaux, est-ce envisageable ?

  • 17 janvier 2021 à 16 h 53 min
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    nous sommes en face d’un problème systémique, rien ne se créé, rien ne se perd. l’engrais provenant des animaux est principalement représenté par l’azote. l’intérêt des animaux ici est de conserver un cycle relativement fermé pour la matière azotée, c’est à dire de remettre à la terre les éléments qu’on a extrait avec l’agriculture. en réalité on en remet tout ne même qu’une proportion réduite, ce qui n’est déjà plus le cas depuis trop longtemps (et pourtant pas si longtemps) pour les autres familles de fertilisant contenant du phosphate et du potassium, qui eux proviennent de mines… on pourrait donc refermer le cycle, et ce pour tous les engrais, en récupérant excréments et urines de la population humaine qui polluent les océans au lieu de nourrir la terre. l’idée est donc bonne avec les animaux d’élevage mais est souvent trop l’occasion d’en justifier l’exploitation de manière technique, alors qu’une autre solution plus durable se présente, qui n’aborde même pas la question éthique de l’élevage, mais participe à un changement de civilisation. le problème est-il alors plutôt technique ou culturel ?

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