Le véritable enjeu de l’huile de palme n’est pas la santé, mais l’environnement
[Mis à jour le 3 Août 2017 sur les acides gras saturés et les MCPD]
L’huile de palme est l’huile la plus consommée dans le monde, puisqu’on la retrouve dans de nombreux produits industriels : biscuits, pâtes à tartiner, gâteaux, céréales, plats préparés … et même la cosmétique. Voici quelques exemples (je n’ai rien contre ces produits !) pour vous montrer qu’on en retrouve partout : pâte à pizza Herta™, biscuits Prince™, Granola™ de Lu, les laits Blédina™, la margarine Fruit d’Or™ ou le savon Dove™. Les Français consommeraient entre 700g et 4,5kg d’huile de palme par an et par habitant
L’huile de palme comme son nom l’indique est extraite du fruit du palmier à huile d’origine africaine Elaeis oleifera. Les fruits du palmier sont regroupés en grappes pesant entre 10 et 50 kg. Chaque fruit comporte un noyau dur (endocarpe) entouré d’une partie charnue (mésocarpe), un peu comme les cerises. L’huile de palme est extraite du mésocarpe. Le développement du fruit commence deux semaines après la floraison (anthèse). Le fruit devient mûr au bout d’environ 20 semaines. A ce moment-là, l’accumulation de lipides (formation de l’huile) est maximale. Traditionnellement, les fruits étaient portés à ébullition pour les ramollir, puis le malaxage et le pressurage de la noix étaient faits à pieds nus. De nos jours, les machines effectuent ces étapes de cuisson, trituration, pressurage, puis raffinage et filtration pour éliminer les dernières impuretés.
Une huile riche en acides gras saturés : une des controverses
-> Rappels ici sur qu’est-ce qu’un acide gras saturé, insaturé, un lipide ?
L’huile de palme fait partie de la famille des corps gras (lipides) riches en acides gras saturés. Les corps gras sont composés à 95-99% de triglycérides (glycérol + acides gras), de phospholipides (0.1-0.2%) et de composés mineurs (stérols, vitamine E, caroténoïdes, squalène…).
L’huile de palme est composé à 50% d’acides gras saturés (principalement de l’acide palmitique C16 :0) en comparaison le beurre laitier en contient 60%. Les acides gras saturés ont longtemps été pointés comme facteurs de risque de maladie cardiovasculaire en ayant notamment augmentant le taux de LDL-cholestérol, le « mauvais cholestérol ». Par exemple, une étude récente (Wang et al. 2016) avait observé une association entre la consommation d’acides gras saturés et la mortalité dans une cohorte NHS. Néanmoins d’autres études comme la méta-analyse de Rioux V. and Legrand P. (2007), Chowdhury (2014) et Siri-Tarino (2011) montrent que les acides gras saturés n’ont pas de lien significatif avec une augmentation de la mortalité toutes causes confondues. Les acides gras saturés sont donc un peu controversés au niveau scientifique. D’ailleurs, les acides gras saturés interviennent dans des fonctions physiologiques (comme l’acylation des protéines) et sont donc nécessaires au bon fonctionnement de l’organisme. Les autorités sanitaires recommandent cependant de limiter ses apports en graisses saturés à 10% maximum de l’apport énergétique total.
L’huile de palme par sa composition lipidique a des propriétés physico-chimiques intéressantes
L’huile de palme a un rapport 50-50 d’acides gras saturés/insaturés, elle est donc semi-solide à température ambiante. Souvent en agroalimentaire, cette huile ne nécessite pas d’hydrogénation. L’hydrogénation est un processus industriel pour rendre moins liquide les huiles, l’inconvénient est la création d’acides gras Trans . L’huile de palme est utilisée dans trois secteurs : alimentaire (80 %), cosmétologique (19 %) et énergétique (1 %). L’huile de palme est appréciée par les entreprises agroalimentaires puisqu’elle coûte moins chère que les autres. Cette huile est stable à la lumière et à la chaleur à la différence des huiles de colza et de soja.
Cette huile est également riche en caroténoïdes (13 types différents) d’où sa couleur rouge pour l’huile brute. L’huile de palme est vendue désodorisée et décolorée lors du raffinage. Les caroténoïdes sont des pigments et les précurseurs de la synthèse de la vitamine A avec le β-carotène. Cette huile contient aussi de la chlorophylle.
Elle contient également deux molécules de la famille de la vitamine E : les tocotriénols (α-tocotriénol (29%) et δ-tocotriénol (14%)) et les tocophérols (α-tocophérol (28%)), on en retrouve également en grande quantité dans l’huile de riz. Le raffinage réduit de moitié la teneur en vitamine E de l’huile brute de palmier. Ces molécules antioxydants contribuent à la stabilité et la résistance à l’oxydation de cette huile. L’oxydation correspond au rancissement de l’huile.
Concernant la santé, voici les principaux effets débattus sur l’huile de palme :
- à dose élevée, l’acide palmitique (acide gras saturé) pourrait élever le LDL-cholestérol (‘mauvais’). D’autres estiment que cet acide gras n’a pas d’effet sur la cholestérolémie. Pourquoi des différences ? Certaines études utilisent l’huile de palme comme régime de substitution à un régime avec peu de matière grasse ou en remplacement à des combinaisons de graisses saturés (acides lauristiques, myristiques…) ou à des graisses Trans. Les différences de résultat viennent en partie des différences de régimes de comparaison.
- les activités antioxydants de la vitamine E et des caroténoïdes, qui pourraient jouer un rôle de prévention dans le cancer.
La mention de l’utilisation d’huile de palme n’est pas obligatoire dans l’étiquetage. Dans la liste des ingrédients, la mention « huile ou graisse végétale » suffit d’après le règlement n°1169/2011.
Alors faut-il s’inquiéter sur le plan nutritionnel ?
D’après le CREDOC, la consommation journalière d’huile de palme en France est faible : 2,8g/j. L’huile de palme contribue à environ 5% de l’apport des acides gras saturés des français, ce qui est très faible. Il n’y a donc pas de quoi s’inquiéter. Le seul soucis est si l’huile de palme est hydrogénée puisqu’il a été plusieurs fois montré que les acides gras Trans augmentent le risque de maladies cardiovasculaires.
Des contaminants non désirés peuvent se former durant la transformation des huiles végétales comme les esters glycidyliques d’acides gras (GE), 3-monochloro-propanol-1,2-diol (3-MCPD) et 2-monochloro-propanol-1,2-diol (2-MCPD). Cela a soulevé des inquiétudes auprès de l’EFSA par rapport à un éventuel risque génotoxique et cancérigène avec le glycidol (composé parent des GE) en particulier chez les moins de 18 ans pour le 3-MCPD.
Le véritable enjeu n’est pas la santé, mais la protection de l’environnement.
L’huile de palme et la déforestation
L’huile de palme a été de nombreuses fois attaquée par les ONG environnementales : WWF, GreenPeace…La mise en place de plantations industrielles entraîne la déforestation. La culture d’huile de palme est passée de 3,6 millions d’hectares en 1961 à 13,2 millions d’hectares dans le monde en 2006. Les plus gros producteurs sont l’Indonésie et la Malaisie. L’étude de Koh estime que entre 1990 et 2005, entre 55 et 59% de la déforestation en Malaisie est due à l’expansion des palmeraies. Ils ont également recensé les espèces de papillons et d’oiseaux à 720 endroits dans le Sud de la Malaisie et Bornéo pendant 5 mois. Ces espèces sont des indicateurs de la biodiversité. Suite à la transformation de forêts primaires en plantations d’huile de palme, on peut voir que le nombre d’oiseaux a baissé de plus de 70% et le nombre de papillons de 83%. La disparition de ces forêts entraîne donc une forte baisse de la biodiversité, suite à la destruction de l’habitat de nombreuses espèces et de zones protégées.
GreenPeace dénonce également la croissance de l’huile de palme en Afrique : la déforestation massive va accélérer le réchauffement climatique. L’ONG dénonce également les abus sociaux avec les expulsions des communautés locales. Un des éléments moteurs de cette agriculture est que la demande mondiale en huile de palme est toujours élevée d’après la FAO en 2016. D’ailleurs, la demande en biodiesel qui utilise l’huile de palme, va plus que doubler en 2018.
L’huile de palme est une huile peu chère avec un très bon rendement comparé aux autres huiles, en plus de sa stabilité physico-chimique, elle en fait un parfait ingrédient pour l’agroalimentaire. Et d’ailleurs en France, c’est une des huiles les moins taxées : l’huile d’olive est taxée à environ 190 € par tonne, l’huile d’arachide à environ 170 € la tonne, l’huile de palme à environ 104 € la tonne, et l’huile de colza à 87 € la tonne. Certains députés ont donc voulu augmenter la taxe de l’huile de palme. Cette taxe a même été surnommée la taxe Nutella. En 2012, l’inquiétude des français grandissait envers cette huile de palme, qui est utilisée dans le Nutella afin de donner lui un caractère onctueux. En Juin 2015, Ségolène Royal a créé une polémique en disant qu’il fallait arrêter de consommer du Nutella puisque cela participe à la déforestation massive. Au final, en Juin 2016, les députés renoncent à taxer cette huile suite à des pressions venant de l’Indonésie, qui menace de rétorsion économique sur les achats d’Airbus et de satellites. Il en est de même avec la prolongation des dérogations pour les néonicotinoïdes (pesticides qui tuent les abeilles) jusqu’en 2020. L’environnement n’est pas la préoccupation du moment semble-t-il…
Et l’huile certifiée durable ?
Il existe une certification RSPO (Roundtable for a sustainable palm oil) pour une huile de palme durable. Cette association à but non lucratif est composée des différents acteurs de la filière (producteurs, industries agroalimentaires, investisseurs, ONG de protection environnementale et sociale, distributeurs…). Ces acteurs ont défini des critères pour protéger l’environnement et garantir l’intégrité du commerce de cette huile. La RSPO incite à la protection des espèces menacées ou en voie d’extinction. Les palmiers plantés ne doivent pas remplacer de forêts primaires (forêt qui n’a jamais été exploisée ou influencée par les activités de l’Homme) ou de zones à Haute Valeur pour la conservation. Ces zones de forêts vierges sont de plus en plus rares dans le monde. Cependant ce label est épinglé outil de greenwashing et est critiqué puisqu’il ne contient pas d’engagement « zéro déforestation ». Il y a aussi un déséquilibre des parties prenantes : peu d’ONG à sensibilité écologique sont représentées au comité exécutif par rapport aux multinationales.
Malgré ces aspects négatifs sur l’environnement, l‘industrie agroalimentaire aura dû mal à se passer de l’huile de palme, compte tenu de sa forte utilisation dans de nombreuses produits et parce que les huiles de tournesol et de colza ne sont pas produites en assez grande quantité pour satisfaire la demande industrielle.
Pour suivre les autres actualités du blog ou en apprendre plus sur les controverses alimentaires, santé et environnement, un petit like :
Source :
L. P. Koh, David Wilcove – Is Oil Palm agriculture really destroying tropical diversity ? Conservation Letters Volume 1, Issue 2, pages 60–64, June 2008
K. Sundram, R. Sambanthamurthi, YA. Tan – Palm fruit chemistry and nutrition – Asia Pacific J. Clin. Nutr. 2003; 12(3);355-362
Odile Morin, Xavier Pages-Xatart-Parès – Huiles et corps gras végétaux : ressources fonctionnelles et intérêt nutritionnel- OCL 2012 ; 19(2) : 63-75
Mukherjee and Mitra – Health Effects of Palm Oil – J. Hum co, 26(3); 197-203 (2009)
De Souza RJ, Mente A, Maroleanu A, et al. Intake of saturated and trans unsaturated fatty acids and risk of all cause mortality, cardiovascular disease, and type 2 diabetes: systematic review and meta-analysis of observational studies. BMJ : British Medical Journal. 2015;351:h3978. doi:10.1136/bmj.h3978.
Rioux V. and Legrand P. (2007) Saturated fatty acids: simple molecular structures withcomplex cellular functions. Current Opinion in Clinical Nutrition and Metabolic Care 10:752-58 )
https://www.anses.fr/fr/content/les-acides-gras-trans
CREDOC – Communiqué de presse sur la consommation d’huile de Palme : http://www.credoc.fr/pdf/Sou/Communiquedepresse_huile_de_palme_14oct2014.pdf
GreenPeace – Faire confiance au RSPO, c’est donner un laissez-passer à la déforestation – http://www.greenpeace.org/belgium/fr/vous-informer/forets/blog/faire-confiance-au-rspo-cest-donner-un-laisse/blog/46546/
WWF – Pour une huile de palme durable – Onglet Critique – http://www.wwf.ch/fr/projets/cooperations/tables_rondes/huile_de_palme_durable/
Bon article, enfin quelqu’un qui sait faire la part des choses et qui ne voit pas tout en noir dans le « débat » sur l’huile de palme !
Toutefois, si je peux me permettre, tu devrais citer des sources (des sources journalistiques fiables, si cela existe ?) lorsque tu dénonces les pressions subies pour la taxe sur l’huile de palme ou le RSPO greenwashing. Car sinon, on est très dans la théorie du complot, ce qui dénote avec ton discours nutritionnel bien travaillé et sourcé (et c’est dommage !).
Enfin, contrairement à ce que tu laisses entendre, le règlement INCO impose justement de donner l’origine de(s) huile(s) végétale(s) utilisée(s). La mention « huiles végétales » peut se retrouver dans la liste des ingrédients pour regrouper les différentes huiles du produit mais doit être immédiatement suivie par les origines des huiles entre parenthèses (colza, palme, tournesol…).
Voilà, voilà et continue comme ça 🙂
Merci pour ton commentaire 🙂 La partie RSPO vient de lectures des journaux grands publics, de WWF et GreenPeace et un mélange de mon avis personnel (je ne crois pas à la théorie du complot ^^). J’ai rajouté les liens vers les articles de ces 2 ONG environnementales.