Glyphosate et cancer : des opinions opposées entre l’IARC et l’US EPA sur la génotoxicité
Le RoundUp dont le glyphosate est un des principes actifs est un herbicide à spectre large systémique commercialisé par Monsanto (racheté par Bayer). Il est très utilisé dans le monde agricole à cause de sa bonne efficacité et son faible coût. Le glyphosate a été évalué par plusieurs agences d’évaluation des risques européennes et internationales et toutes ont conclu que le glyphosate n’est pas cancérigène pour l’Homme ni génotoxique. Seul l’IARC (International Agency For Research On Cancer) a eu une conclusion différente qui s’explique par le fait que l’IARC n’a pas la même vocation que les autres agences à évaluer le risque (détaillé ci-dessous).
Évaluation du danger versus du risque
- L’agence Américaine de sécurité alimentaire US EPA concluait en septembre 2016 que le glyphosate en tant que substance active n’est pas génotoxique (peut provoquer des dommages à l’ADN) ni cancérigène (même opinion pour l’agence européenne EFSA). Elle concluait qu’il n’y avait pas de risque pour la santé.
- l’IARC (International Agency For Research On Cancer, branche de l’Organisation Mondiale de la Santé) estimait que le niveau de preuve était élevé pour la génotoxicité du glyphosate. Et l’IARC a classé le glyphosate dans la catégorie 2A de « probablement cancérigène pour l’Homme » dans la revue Lancet Oncology le 25 Mars 2015. Le groupe de travail de l’IARC estime qu’il y un niveau de preuve suffisant dans les expérimentations chez les rongeurs et limité chez l’Homme pour classer le glyphosate en 2A. Par ailleurs, l’IARC a mis du poids sur les études identifiant un risque accru de lymphome non-hodgkinien associé à une exposition au glyphosate. Cependant l’IARC n’a pas pris en compte une grande étude américaine the Agricultural Health study (grande cohorte d’agriculteurs) qui n’a pas trouvé de lien avec un risque accru de cancers, en particulier les lymphomes non-hodgkiniens.
Comment l’IARC évalue une substance ?
La classification de l’IARC indique « le degré de certitude des indications selon lesquelles un agent peut provoquer le cancer (techniquement appelé “danger”), mais il ne mesure pas la probabilité qu’un cancer surviendra (techniquement appelé “risque”) en raison de l’exposition à l’agent. Alors que les agences sanitaires comme l’ANSES ou l’US EPA évaluent le risque. Il ne faut pas comparer deux agents classés dans la même catégorie (par exemple le glyphosate en 2A ou les boissons très chaudes en 2A ou le DDT en 2A) ». Les monographies de l’IARC n’évaluent pas la force de l’effet de cet agent sur le risque de développer un cancer. Les types d’exposition, l’ampleur du risque, les personnes qui peuvent être à risque, et les types de cancer liés à l’agent concerné peuvent être très différents selon les différents agents.
Bref retour d’actualité
Le 11 janvier 2019, le ministère de la santé Canadien (Santé Canada) écrivait : « Aucun organisme de réglementation des pesticides dans le monde ne considère actuellement que le glyphosate présente un risque de cancer pour les humains, compte tenu des concentrations auxquelles ces derniers sont exposés. »
Le tribunal administratif de Lyon a annulé le 15 Janvier 2019 l’autorisation de mise sur le marché de l’herbicide à base de glyphosate Roundup Pro 360. Il estime que ce pesticide ne respecte pas le principe de précaution et il a donc invalidé l’évaluation de l’ANSES par la même occasion. C’est une première pour un pesticide en Europe.

Autre rebondissement, un rapport « Detailed Expert Report on Plagiarism and superordinated Copy Paste in the Renewal Assessment Report (RAR) on Glyphosate » accuse de plagiat l’institut allemand d’évaluation des risques (BfR). Stefan Weber est un spécialiste du plagiat et le biochimiste Helmut Burtscher-Schaden est un opposant au glyphosate. Le BfR est suspecté d’avoir copié collé son chapitre 3 à 90% à partir des manuscrits du Glyphosate Task Force, un consortium des industries de produits chimiques.
Le BfR a répondu qu’il était complètement normal et habituel d’introduire des passages de documents soumis par les demandeurs dans les rapports d’évaluation, après un examen critique et à condition qu’ils soient conformes aux normes et pertinents. « Le BfR n’a en aucun cas adopté les conclusions du requérant sans en avoir préalablement évalué la validité. »
Une nouvelle étude publiée ce 14 janvier 2019 du journal à revue par pairs (peer-review) Environmental Sciences Europe a analysé les études inclues dans les évaluations de l’US EPA et l’IARC portant sur la génotoxicité du glyphosate et de ses produits dérivés. Il est important de rappeler que la plupart des autorités d’évaluation des risques en Europe (EFSA, ECHA, ANSES) et dans le monde (JMPR, ARLA, US EPA, …) ont conclu que le glyphosate n’est ni cancérigène ni génotoxique.
La génotoxicité d’une substance
Une étude de génotoxicité est conçue pour détecter des composants qui causent des dommages génétiques (l’ADN, le support de l’information génétique) soit directement, soit indirectement, sur des cellules exposées à des molécules toxiques. Ces tests de génotoxicités décèlent le danger à court terme :

- le potentiel mutagène sur des bactéries (test d’Ames)
- l’essai des comètes pour détecter des cassures de chromosomes (single cell gel electrophoresis assay ou comet assay). Un chromosome est une structure constituée d’ADN et de protéines.
- les tests des micronoyaux pour identifier des altérations chromosomiques
La génotoxicité correspond à des microlésions de l’ADN (adduits ou cassures) ou des macrolésions (aberrations chromosomiques ou cassures ou nombre de chromosome…). Voici quelques exemples d’agents génotoxiques : les radiations ionisantes, les UV, le tabac, l’amiante…
Des divergences méthodologiques entre l’US EPA et l’IARC
Le poids des études financées par l’industrie
Les analyses de l’US EPA reposaient principalement sur des études commanditées par l’industrie pour le glyphosate pur (52 études privée / 83 études) et pour les formulations à base de glyphosate (43 études privées / 68). Au total 95 études financées par l’industrie pour 151 étude analysées par l’EPA, soit 63%.
L’IARC s’est basée principalement sur des études publiques : 191 études.

Quand on s’intéresse aux résultats positifs de ces tests de génotoxicité, il y a une grande différence entre les études industrielles et publiques.

Pour le glyphosate pur, seules 2% des études industrielles (1 seule étude) ont identifié de la génotoxicité alors que 69% (soit 73 essais) des études publiques étaient positives.
Pour les formulations à base de glyphosate, aucune étude industrielle n’a rapporté de réponse génotoxique alors que 49 études publiques (75%) ont identifié ce danger. L’EPA a donné peu de poids dans son évaluation aux études sur les formulations. Au final, l’EPA a pris en compte principalement 23% des essais considérés par l’IARC. L’IARC a inclu dans son analyse 67 essais publics en plus sur le glyphosate pur et ses formulations et 5 sur l’AMPA. Seul l’IARC a évalué l’AMPA (acide aminométhylphosphonique), le principal produit de dégradation du glyphosate qui possède les mêmes propriétés chimique et toxicologique que le parent. Sur ces 67 essais, 82% étaient positifs à la génotoxicité.

Les principaux mécanismes suspectés sont le stress oxydatif, les lésions de l’ADN et la perturbation des hormones sexuelles.
Glyphosate seul versus la formulation
L’US EPA s’est principalement intéressée au glyphosate pur. Quant à l’IARC, elle a mis plus de poids aux études en population humaine exposée aux formulations (plus de 80% des essais positifs). Plusieurs études ont montré que les formulations à base de glyphosate pourrait être plus toxique que le glyphosate pur. La raison est que les surfactants sont conçus pour accélérer l’action du glyphosate sur les membranes des cellules végétales afin de permettre une meilleure absorption. Les co-formulants peuvent également avoir des effets synergiques toxiques. Par exemple, le mélange dicamba + glyphosate produit plus de cassures d’ADN que les composés seuls (Benbrook 2019). En Juin 2016, l’agence française de sécurité sanitaire avait retiré les autorisations de mise sur le marché des produits associant la substance active glyphosate au co-formulant POE-Tallowamine.

La dose LC50 suffit pour tuer 50% des cellules. Le LD50 est la dose létale pour tuer la moitié d’une population.
Par ailleurs, l’US EPA s’est principalement intéressée à la génotoxicité in vivo plutôt que in vitro (modèles cellulaires). Le seul essai in vivo positif dans l’analyse de l’US EPA était à des doses beaucoup plus élevées qu’une exposition « normale ».
Exposition générale vs. Exposition professionnelle/Accidentelle
L’US EPA s’est surtout focalisée sur l’exposition alimentaire en population générale mais pas sur l’exposition professionnelle ou les utilisations accidentelles de formulation qui peuvent mener à des doses élevées. Entre 2002 et 2008, 271 incidents ont été rapportés aux États-Unis dont 36% qui ont entraîné des symptômes neurologiques, 29,5% des irritations dermatologiques et 14% de la détresse respiratoire.
L’évaluation du CIRC a englobé des données provenant de scénarios typiques d’exposition alimentaire, professionnelle et accidentellement élevée. Les expositions excessives causées par des déversements, un tuyau ou un raccord qui fuit ou le vent qui fait voler le glyphosate sont courantes chez les personnes qui appliquent des herbicides plusieurs jours par semaine, pendant plusieurs heures dans le cadre de leur travail.
L’étude donne quelques exemples d’exposition particulière :
- un enfant qui joue avec un chien qui a couru dans une aire où du glyphosate a été épandu
- épandage de glyphosate sur des cultures avec beaucoup de vent
Les auteurs critiquent la sur-représentation des tests d’Ames (bacterial reverse mutation assays). En effet, l’EPA ne demande qu’un seul essai de ce type pour l’autorisation d’un pesticide. Ces essais représentent 54% des études qui rapportent toutes un résultat négatif. Ce test est peu coûteux et les auteurs estiment que ça pourraient avoir été un moyen d’augmenter le nombre d’essais négatifs.
En conclusion, les différences d’inclusion et de poids donné aux études ainsi que le but de leurs analyses (danger vs risque) expliquent les différences de jugements entre l’US-EPA et l’IARC.
Depuis les évaluations de l’US EPA et de l’IARC, 27 études additionnelles ont été faites sur les éventuels mécanismes de génotoxicité. Elles ont toutes identifié un effet néfaste (dommages à l’ADN, stress oxydatif…) sauf une. Il manque des études telles qu’une étude de 2 ans sur des rongeurs nourris à des formulations à base de glyphosate, des données sur les expositions professionnelles et des études sur le taux de pénétration par la peau du glyphosate et des co-formulants.
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Sources :
Benbrook Charles M. How did the US EPA and IARC reach diametrically opposed conclusions on the genotoxicity of glyphosate-based herbicides? Environmental Sciences Europe 201931:2
Cressey, D. (2015). Widely used herbicide linked to cancer. Nature. doi:10.1038/nature.2015.17181
Stefan Weber and Helmut Burtscher-Schaden (2019): Detailed Expert Report on Plagiarism and superordinated Copy Paste in the Renewal Assessment Report (RAR) on Glyphosate
Merci pour cet article, pour une autre analyse : https://www.pseudo-sciences.org/spip.php?article2945