Epigénétique et Obésité : Et si la prise de poids était programmée avant la naissance ?
Nous ne sommes pas tous égaux devant la prise de poids et le surpoids. Le surpoids est en partie dû à un déséquilibre énergétique alimentaire (apports excessifs ou/et dépenses réduites). Cet équilibre énergétique est modulable par notre alimentation et notre activité physique entre autre. Cependant, une part des variations de susceptibilité à l’obésité serait lié à la génétique : 65% des variations dans l’obésité serait familiale ou génétique à travers des gènes tels que Avy (le gène agouti contrôle l’appétit et l’adipogenèse), Oblep (Leptine), ADIPOQ (Adiponectine), FASN, IGF2, GLUT4, Oblep, TNF… des gènes liées à la régulation de l’appétit, du métabolisme ou des phénomènes inflammatoires.
Des modifications dites épigénétiques pourraient être associées à un risque accru et transmissible de l’obésité.
Quelques petits rappels de génétique:
Le génome est l’ensemble de l’information génétique codée sous forme d’ADN dans chacune de nos cellules, sous la forme de chromosomes chez l’Homme. Un gène est un fragment d’ADN qui contient les informations pour produire un ARN ou une protéine. Il permet la mise en place et la transmission d’un caractère observable. Par exemple, le gène abo sur le chromosome 9 code les protéines qui définissent notre groupe sanguin.
Toutes nos cellules contiennent le même patrimoine génétique (les mêmes gènes), cependant, tous les gènes ne s’expriment pas nécessairement. Ils peuvent être actif (exprimé) ou inactif (réprimé). Le gène est exprimé lorsqu’il active la synthèse d’une molécule. Cependant, l’expression génétique n’est pas réduit à un oui/non binaire, l’expression des gènes peut être plus ou moins importante avec une synthèse plus ou moins intense.
Qu’est-ce que l’épigénétique ?
L’épigénétique englobe les modifications transmissibles et réversibles de l’expression des gènes ne s’accompagnant pas de changements dans le support génétique, c’est-à-dire au niveau de l’ADN.
L’épigénome est l’ensemble des marques biochimiques qui activent ou inhibent l’expression des gènes à travers des protéines qui structurent l’ADN et son expression. De façon métaphorique, le génome serait le disque dur et l’épigénome serait les logiciels. Certaines informations du disque dur (ADN) sont accessibles grâce aux programmes installés sur le pc. Certains domaines sont protégés par des mots de passe et d’autres non, l’épigénétique essaye de comprendre pourquoi certaines zones sont libres d’accès et d’autre non. Ces marques épigénétiques sont sensibles aux changements environnementaux (mode de vie, alimentation, exposition aux produits chimiques…), des modifications épigénétiques peuvent engendrer des effets sur la santé à court et long terme. Le terme « épigénétique » vient de Conrad Waddington.
Les changements épigénétiques regroupent :
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des marques de méthylation (groupement méthyle CH3) sur l’ADN qui empêchent plus ou moins l’arrivée des complexes protéiques qui vont faire exprimer l’ADN.
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des modifications des histones, des protéines qui régule le compactage de l’ADN (= sa condensation). L’ADN enroulée autour des protéines histones est compactée en fibres de chromatine plus ou moins denses. Quand cette chromatine est très compactée (appelée hétérochromatine), les gènes ne sont pas accessibles et donc non exprimés. Et inversement l’euchromatine (peu compactée) permet l’expression des gènes. Les modifications épigénétiques affectent le compacte de cette chromatine et donc l’expression des gènes.
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Les ARN non transcrits (ncRNA = non-coding RNA) : les micro-ARN peuvent moduler l’activité transcriptionnelle des gènes, en régulant l’activité d’HMT, MBD et DNMT, en augmentant la dégradation des ARNm (supprime l’expression protéique) ou les micro-ARN sont eux même cibles de modifications épigénétiques.
Des marques transmissibles :
Les processus épigénétiques ont la particularité d’être héritables d’une génération de cellule à l’autre au cours de la mitose (en particulier durant le développement embryonnaire) voire sur plusieurs générations d’organismes au cours de la méiose, même si leur cause a disparu.
Les phénomènes épigénétiques couvrent les paramutations, les phénomènes d’empreinte, l’extinction de gènes, l’inactivation du chromosome X et de nombreux processus d’adaptation à l’environnement, etc. Ils sont impliqués dans l’évolution des cancers, la tératogenèse, certaines maladies génétiques (disomie uniparentale ou maladie lié à l’empreinte génomique) ainsi que dans les limitations de la parthénogenèse, du clonage et de la reproduction artificielle.
Epigénétique et risque de surpoids/obésité :
La période avant la naissance, in utero et dans la petite enfance sont des périodes critiques de plasticité épigénétique par rapport à l’environnement du fœtus et du nouveau-né. Le poids de naissance est un indice de croissance (bien qu’imparfait) du fœtus et de son état nutritionnel. Il a été observé que les nouveaux nés avec un poids faible à la naissance ou une croissance ralentie in utero étaient associés avec un risque accru pour le diabète de type 2, l’hypertension et de surpoids. En cas de restriction énergétique, le fœtus pourrait s’adapter avec des changements hormonaux et métaboliques. On parle de programmation fœtale. Les enfants exposés à une malnutrition aigüe sont plus à même de développer de l’obésité adulte. L’IMC des parents est associé à celui des enfants dans plusieurs études. Des régimes parentaux riches en gras pourraient également favoriser le surpoids chez la descendance (Q. Wu & M. Suzuki 2005).
Les perturbateurs endocriniens sont suspectés agir sur les phénomènes épigénétiques (Neil A. Youngson) et favoriser le surpoids. Les perturbateurs endocriniens sont des molécules qui miment les actions des hormones et dérèglent des voies métaboliques. Une des voies d’exposition est l’alimentation. L’étude de Samantha E Serrano a montré que les régimes riches en viande et produits laitiers pourraient doubler l’exposition aux phtalates (perturbateurs endocrinien). Cependant, de nombreuses études sont encore à effectuer avant de pouvoir établir une hypothétique relation de causalité.
Pour aller plus loin dans ces mécanismes complexes :
Les modifications des histones se font par des acétylations, méthylations ou phosphorylations grâce à des Histone Acétyl Transférase, Histone MéthylTransférase ou Kinase/Phosphatases. Ces modifications sont catalysées par des « writers » ou inversées par des « erasers ». Un excellent schéma de la Revue scientifique Nature : http://www.nature.com/nrd/journal/v13/n9/images/nrd4360-f1.jpg
Sources :
Si l’article t’a plu ou si tu souhaites suivre des sujets d’actualités controversés, un petit like :
- Burgio, Ernesto, Angela Lopomo, et Lucia Migliore. « Obesity and Diabetes: From Genetics to Epigenetics ». Molecular Biology Reports 42, no 4 (avril 2015): 799‑818. doi:10.1007/s11033-014-3751-z.
- Herrera, Blanca M., Sarah Keildson, et Cecilia M. Lindgren. « Genetics and epigenetics of obesity ». Maturitas 69, no 1 (mai 2011): 41‑49. doi:10.1016/j.maturitas.2011.02.018.
- Serrano, Samantha E, Joseph Braun, Leonardo Trasande, Russell Dills, et Sheela Sathyanarayana. « Phthalates and diet: a review of the food monitoring and epidemiology data ». Environmental Health 13 (2 juin 2014): 43. doi:10.1186/1476-069X-13-43.
- Youngson, Neil A., et Margaret J. Morris. « What obesity research tells us about epigenetic mechanisms ». Philosophical Transactions of the Royal Society B: Biological Sciences 368, no 1609 (5 janvier 2013). doi:10.1098/rstb.2011.0337.