Un champignon Metarhizium génétiquement modifié (OGM) pour lutter contre les moustiques vecteurs du paludisme au Burkina Faso

Des équipes de recherche de l’Université du Maryland et du Burkina Faso ont testé l’utilisation d’un champignon Metarhizium génétiquement modifié pour tuer les moustiques porteurs du paludisme dans la région endémique du Burkina Faso.

Les moustiques font partie des animaux les plus dangereux par le nombre de décès qu’ils provoquent dans le monde. Leur capacité à être vecteurs de maladies et à les transmettre aux êtres humains entraîne des milliers de morts chaque année. En 2015, le paludisme a été responsable à lui seul de 438 000 morts (OMS).

Seuls les moustiques du genre Anopheles peuvent transmettre le paludisme. Quant aux moustiques Aedes, ils peuvent être vecteur du Chikungunya, du virus Zika ou de la Denge par exemple.

L’Afrique, région endémique du paludisme

Micrographie de Plasmodium falciparum

L’Afrique est la région la plus touchée avec 90% des cas mondiaux de paludisme (plus de 200 millions de cas) en particulier dans le Nigéria (25% des cas), la République démocratique du Congo (11%) et le Mozambique (5%) d’après l’OMS.

Le paludisme est une maladie parasitaire due à la transmission par des piqûres de moustiques du genre Anopheles de parasites protozoaires : Plasmodium falciparum (le plus courant) ou Plasmodium vivax ou Plasmodium ovale. Il n’existe qu’un seul cas de transmission inter-humaine par voie transplacentaire de la femme enceinte vers son enfant. Les premiers symptômes (fièvre maux de tête et frisson, tremblements avec sueurs froides et transpiration) apparaissent 10 à 15 jours après la piqûre infectante. Ces parasites peuvent mener à une anémie voire la mort (Institut Pasteur). Il existe des traitements par voie orale : artémether + luméfantrine ou atovaquone + proguanil ou quinine + doxycycline ou clindamycine ou artemisinine + piperaquine. Il faut bien sûr aller voir un médecin en cas de doute ou/et d’infection !

La lutte contre le paludisme

Un des moyens de prévenir du paludisme est la lutte antivectorielle. Les recommandations habituelles sont l’usage de moustiquaires imprégnées d’insecticides, de pulvérisations intra-domiciliaire. La destruction de la source de production de moustiques (les zones d’eau stagnante) peut participer à cette lutte en drainant les marécages. Cependant, des résistances à certains insecticides commencent à apparaître.

Un champignon OGM pour tuer les moustiques

Des chercheurs de l’Université du Maryland ont créé un champignon Metarhizium génétiquement modifié OGM qui pourrait tuer les moustiques porteurs du paludisme.

Utilisation connue de champignons entomopathogènes

Moustique infecté par Metarhizium (coloré)

Ce n’est pas nouveau que l’on cherche à développer des alternatives aux insecticides et une alternative biologique avait été développée avec le programme de recherche LUBILOSA (LUtte BIologique contre les LOcustes et les SAuteriaux) achevé en 2002. Le « green muscle » est un biopesticide composé de champignon Metarhizium anisopliae qui s’attaque aux criquets et aux sauterelles. Lorsque ce champignon est en contact avec un insecte, Metarhizium sécrète des enzymes inhibitrices (des protéases et des chitinases) qui empêche la formation de la cuticule de l’insecte, ce qui provoque une exuviation anormale et mortelle. L’exuviation est le rejet de la mue des arthropodes quand ils se métamorphosent.

En Tanzanie, l’application de spores de ce champignon Metarhizium est traditionnelle dans les maisons. Cela permet de diminuer le nombre de piqûres infectieuses mais cette protection est incomplète parce que la virulence de ce champignon est faible.

Pourquoi utiliser des champignons pour lutter contre les moustiques ?

L’avantage d’utiliser des champignons est qu’il n’a pas besoin d’être ingéré pour infecter les moustiques, un simple contact suffit. Il y a 15 ans, un essai en Tanzanie avait montré qu’il était possible de tuer les moustiques Anopheles en accrochant des draps en coton inoculés avec des champignons Metazhizium anisopliae (Ernst-Jan Scholte 2005). Le temps median de décès des moustiques infectés était de 3,7 jours et de 3,4 jours pour les mâles et les femelles alors que la durée de vie mediane était de 5,9 jours et de 9,3 jours pour les moustiques non infectés mâles et femelles respectivement.

Le soucis est que les infections fongiques prennent plusieurs jours pour tuer le moustique hôte.

Développement du champignon OGM

mosquito-sphere
Mosquito Sphère

Pour surmonter ce problème, des chercheurs du Maryland ont modifié une souche de champignon Metarhizium pingshaense en leur faisant produire une toxine qui s’attaque au système nerveux des arthropodes (comprenant les insectes, les araignées, les crustacés). Cette toxine ω/κ-hexatoxin-Hv1 a s’attaque aux canaux voltages dépendants de potassium et calcium (Bilgo 2017). Cette toxine dérive du venin de l’araignée Hadronyche versuta et est mortelle pour de nombreux insectes mais pas pour les souris et les lapins.

Ce champignon OGM a été testé dans un vaste champ de criblage avec 6 compartiments, appelé « MosquitoSphere » conçu pour ressembler aux conditions extérieures du Burkina Faso. Il y avait 2 types de huttes avec au plafond accroché des draps en coton contenant :

  • soit des spores de champignons Metarhizium OGM (Mp-Hybrid) colorés avec une protéine fluorescente GFP
  • soit des spores de champignons non OGM (Mp-RFP ; WT = Wild Type) colorés en rouge avec une protéine fluorescente RFP
  • soit de l’huile de sésame (pas de champignon Metarhizium), un compartiment témoin

Les chercheurs ont également examiné l’évolution de la population de moustique au fil du temps en libérant 1000 moustiques mâles et 500 moustiques femelles dans ces huttes.

Une mort plus rapide des moustiques infectés par le champignon OGM

Environ 75% des moustiques ont été infectés. Les moustiques infectés par le champignon modifié Mp-hybrid sont morts au bout de 5 jours alors que ceux infectés par le champignon classique sont morts en 9 jours en moyenne.

Effet insecticide efficace

Ils ont regardé l’évolution sur 2 générations de moustique, au bout de 45 jours, la seconde génération de moustique est passée d’une population initiale de 1500 moustiques à :

  • dans le compartiment témoin (draps à l’huile de sésame) : 1396 moustiques
  • dans le compartiment avec le champignon non modifié : 455 moustiques adultes
  • dans le compartiment avec le champignon OGM : 13 moustiques adultes, une réduction drastique en 1 mois et demi. Le champignon OGM a fait chuter la population de moustiques -91,8 à -92,7%.

Diminution de la fertilité des moustiques

Il a également provoqué une baisse de la production d’œufs en quantité et qualité. Seulement 25% des moustiques infectés par le champignon OGM produisaient des œufs alors que 78% des moustiques non infectés en produisaient.

De même quand on s’intéresse au nombre d’œufs pondus par les moustiques femelles, en moyenne, un moustique non infecté par les champignons produit 139 œufs dont 74 (53%) œufs deviendront adultes. Un moustique infecté par le champignon Metarhizium OGM ne produit que 26 œufs dont seulement 3 œufs qui deviendront adultes.

L’expérience a été répliquée 3 fois.

Les auteurs précisent que ce champignon modifié pourrait avoir une action anti-moustique plus importante (effet synergique) avec des insecticides aux pyréthrinoïdes. Cela pourrait donc être une alternative biologique intéressante pour éradiquer le paludisme.

Les limites et les risques

Cette méthode serait à tester à plus grande échelle en condition réelle. Il y a également des questions sur la spécificité de l’infection quant aux dommages causés aux insectes non ciblés par ce champignon comme les abeilles par exemple. Il faudrait une évaluation des risques complètes sur la caractérisation moléculaire de ce champignon OGM, ses propriétés toxicologiques ainsi que les effets sur l’environnement. Anéantir une espèce de moustique pourrait laisser un prédateur sans proie ou une plante sans pollinisateurs. De même, il faudrait contrôler la dispersion de ce champignon OGM.

« the narrow host range of Mp-Hybrid (tested against a panel of beneficial and pest insects) limits possible threats to nontarget insects »

Science

Pour finir, les moustiques pourraient également développer une résistance à cette toxines. Il faudra donc approfondir la recherche sur cette alternative aux insecticides anti-moustiques.

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Source :

Scholte, E.-J. (2005). An Entomopathogenic Fungus for Control of Adult African Malaria Mosquitoes. Science, 308(5728), 1641–1642. doi:10.1126/science.1108639 

Centers for disease control and prevention – Malaria https://www.cdc.gov/malaria/malaria_worldwide/reduction/index.html

Bissaad et al. Activité biologique  d’un biopesticide le Green muscle sur le tégument du criquet pèlerin Schistocerca gregaria (Forskål, 1775) (Orthoptera, Acrididae). Nature & Technologie

Lovett B et al. Transgenic Metarhizium rapidly kills mosquitoes in a malaria-endemic region of Burkina Faso. Science. 2019 May 31;364(6443):894-897

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