Aliments ultra-transformés et risque de mortalité : nouvelle étude prospective dans le JAMA, retour critique

Une association statistique entre la consommation de nourriture ultra-transformée par l’industrie alimentaire et un risque plus élevé de décéder a été établie par des chercheurs français de l’Université Paris 13 (EREN Équipe de Recherche en Épidémiologie Nutritionnelle)/INSERM/INRA avec cette nouvelle étude publiée dans le JAMA internal medicine dans le cadre de la cohorte NutriNet-Santé.

L’étude NutriNet-Santé

Cette nouvelle étude portait sur le suivi pendant 7 ans de 44 551 participants âgés de plus de 45 ans entre 2009 et 2017. Des informations sur les consommations alimentaires, des données socio-démographiques, l’activité physique et le mode de vie et l’état de santé en général ont été collectées par des questionnaires en ligne régulièrement.

Les consommations alimentaires ont été moyennées sur les 2 premières années de suivi. La part d’aliment ultra-transformés a été estimée (% grammes par jour) pour chaque participant en utilisant la classification NOVA. Cette classification repose sur le degré de transformation alimentaire (aliments frais/peu transformés, ingrédients culinaires, aliments transformés et aliments ultra-transformés).

Les principaux résultats

Le suivi median était de 7,1 ans et 602 décès (1.4% de l’échantillon) sont survenus. La consommation d’aliments ultra-transformés représentait 14,4% de la quantité d’aliments ingérés en moyenne dans le régime soit 29,1% de la part énergétique. La consommation d’aliments ultra-transformés diminuait avec l’âge, l’augmentation du revenu, un niveau d’éducation plus élevé, un activité physique plus importante et avec un IMC normal (vs obèse).

Une association avec le risque de mortalité chez les plus de 45 ans

Après la prise en compte de nombreux facteurs de confusion (âge, sexe, revenu moyen, niveau d’éducation, statut marital, IMC, tabac, énergie, antécédents familiaux de cancers et de maladies cardiovasculaires, activité physique, consommation d’alcool + la qualité nutritionnelle dans le modèle plus complexe), une augmentation de +10% de produits ultra-transformés dans le régime était associée à une augmentation de +14% de risque de décéder (HR=1.14 [1.04-1.27],P=0.008)

Les résultats sont restés similaires après ajustement statistique (prise en compte) sur la prévalence des maladies cardiovasculaires et cancer.

Plusieurs hypothèses pourraient expliquer ces relations statistiques :

  • Une mauvaises qualité nutritionnelle associée aux produits ultra-transformés : avec des apports élevés en sodium liés aux maladies cardiovasculaires et le cancer de l’estomac, les apports excessifs en sucres ajoutés, faible teneur en fibre. Les aliments ultra-transformés sont souvent plus caloriques, or le surpoids/l’obésité sont des facteurs de risque de nombreuses pathologies chroniques.
  • Composés néoformés : les traitements thermiques industriels peuvent créer des composés génotoxiques et cancérigènes comme l’acrylamide ou les hydrocarbures aromatiques polycycliques. Il est bon de rappeler que les traitements thermiques permettent également de réduire les risques microbiologiques.
  • Additifs : les aliments ultra-transformés ont la particularité de contenir des additifs alimentaires. Des études récentes animales (attention à l’extrapolation à l’Homme) ont identifié des éventuels dangers comme les émulsifiants qui pourraient perturber le microbiote ou les dioxydes de titane et ses nanoparticules qui pourraient provoquer une inflammation chronique intestinale chez des rongeurs. Les additifs sont utilisés pour la conservation alimentaire, améliorer la stabilité et modifier les propriétés organoleptiques (couleur, goût, texture) des produits alimentaires.
  • Certains aliments ultra-transformés comme les plats préparés peuvent contenir des résidus de matériaux de contact provenant des emballages comme le bisphénol A.

Les limites

Les enquêtes alimentaires : Comme dans beaucoup d’études en épidémiologie nutritionnelle, la récolte de données de consommation alimentaire est complexe. Ici des enregistrements de 24h portant sur tous les aliments et boissons qui ont été consommés le jour de l’interview en ligne ont été utilisés. Les questionnaires web ont été validés en comparaison avec des biomarqueurs urinaires pour voir si on retrouve la même chose que par l’auto-déclaratif (Lassale 2015). Plusieurs enregistrements de 24h permettent de prendre en compte la variabilité intra-individuelle : on ne mange pas la même chose tous les jours. Par ailleurs des erreurs de classification dans les catégories NOVA ne peuvent pas être exclues.

La représentativité : les participants sont des volontaires qui sont principalement des femmes et également avec un intérêt pour la santé. La survenue des décès et la consommation d’aliments ultra-transformés pourrait être plus faible en population générale. Ces différences de représentativité ont été testé avec une comparaison avec l’étude nationale représentative de la population française ENNS (Andreeva 2016). Les apports en macronutriments (lipides, glucides, protéines, énergie) étaient similaires à ceux de l’étude ENNS. Des différences pour les micronutriments (en partie dues à une consommation plus élevée de fruits et légumes) étaient perçues. Ces différences sont prises en compte avec les ajustements statistiques dans les modèles.

Biais de causalité inverse : comme dans toute étude épidémiologique prospective, le biais de causalité inverse ne peut pas être exclu. Les patients suivis ont pu avoir une maladie chronique (sans mourir) et modifier leur régime alimentaire à cause de cette maladie. Pour minimiser ce biais, on peut exclure les décès durant les premières années afin de séparer l’exposition étudiée de la survenue du décès.

Biais de confusion résiduelle : malgré l’utilisation de modèles complexes statistiques, il peut toujours rester des facteurs biaisant la relation (HR faible).

Les forces de cette étude sont la grande taille de la cohorte et les nombreuses variables disponibles pour effectuer des analyses multivariées et de sensibilité. Les outils de collecte de données sont également validés par biomarqueurs.

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Sources :

Schnabel et al. Association Between Ultraprocessed Food Consumption and Risk of Mortality Among Middle-aged Adults in France. JAMA Intern Med. Published online February 11, 2019

Lassale et al. Validation of a Web-based, self-administered, non-consecutive-day dietary record tool against urinary biomarkers. Br J Nutr. 2015 Mar 28;113(6):953-62

Andreeva et al. Comparison of Dietary Intakes Between a Large Online Cohort Study (Etude NutriNet-Santé) and a Nationally Representative Cross-Sectional Study (Etude Nationale Nutrition Santé) in France: Addressing the Issue of Generalizability in E-Epidemiology.
Am J Epidemiol. 2016 Nov 1;184(9):660-669

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