Alimentation, changement climatique, obésité, syndrôme métabolique, ultra-transformation et microbiote : quelques thèmes de la conférence européenne FENS 2019
Du 15 au 18 octobre a eu lieu la 13ème conférence européenne sur la nutrition organisée par la FENS (Fédération des sociétés européennes de nutrition). Cet énorme événement a lieu tous les quatre ans et il constitue la première réunion européenne dans le domaine des sciences de la nutrition pour les scientifiques et les chercheurs en nutrition, réunissant des professionnels de la nutrition et de la santé de toute l’Europe. Cette année, la conférence portait sur «la malnutrition dans un monde obèse». Les principaux axes des 90 sessions allaient des déterminants et des moteurs de la malnutrition, aux nouvelles technologies pour évaluer l’alimentation, en passant par les perspectives métaboliques, en génomique et également l’environnement et le changement climatique au sens large. Je vais vous présenter quelques exposés auxquels j’ai pu assister (sans aller très en profondeur dans chacun des sujets).

« L’obésité métaboliquement saine »
En France, 54 % des hommes et 44 % des femmes adultes sont en surpoids ou obèses (Étude ESTEBAN de 2015). L’obésité se caractérise par un Indice de Masse Corporelle (IMC) supérieur ou égal à 30. Il mesure l’excès de graisse qui est un facteur de risque connu de maladies cardiovasculaires et de mortalité. Les dysfonctionnements métaboliques sont également un facteur de risque de MCV. Il faut distinguer deux formes d’obésité :
- L’excès de graisse viscérale dans la cavité abdominale ou de graisse dans les tissus métaboliques (qui entoure ces organes : foie, pancréas, muscles squelettiques) est décrit comme une forme malsaine d’obésité métabolique.
- En revanche, un manque de tissu adipeux viscérale et un excès de tissu adipeux sous-cutané (graisse sous l’épiderme = la peau) protègent d’un dysfonctionnement métabolique et forment une obésité « métaboliquement saine »

On pense qu’une masse grasse élevée chez les sujets ayant un IMC> 25 kg / m² favorise la morbidité et la mortalité. Cependant, les recherches sur les causes et les conséquences de l’obésité métaboliquement saine ont montré que, pour un certain IMC, le risque de maladie cardiométabolique et de décès peut varier considérablement d’un sujet à l’autre.
À cet égard, par rapport aux personnes en bonne santé métabolique avec un poids normal, les sujets atteints d’obésité métabolique saine ne présentent qu’un risque modérément élevé (environ + 25%) de mortalité toutes causes confondues et/ou d’événements cardiovasculaires. En revanche, pour un IMC similaire d’obésité, le même risque est considérablement accru (+ 150%) chez les sujets présentant une obésité métaboliquement malsaine.
Deux exemples
- Une étude (Eckel 2018) qui a suivi pendant 30 ans, 90 000 femmes âgées de 30 à 55 ans ne présentant pas de maladies cardiovasculaires. Le risque cardiovasculaire des femmes obèses avec un statut métabolique sain est 1,39 fois plus élevé que celui des femmes avec le même statut métabolique et un poids normal. Ce risque est encore plus important dès lors que le statut métabolique est « non sain » : il est multiplié par 2,43 pour les femmes de poids normal, par 2,61 pour les femmes en surpoids et par 3,15 pour les femmes obèses.
- Une étude (Mongraw-Chaffin 2018) dans la cohorte MESA avec 6 800 participants avec un suivi médian de 12 ans a analysé l’effet d’interaction du syndrome métabolique sur le risque cardiovasculaire. En comparaison avec les participants avec un poids normal et en bonne santé, l’obésité avec un statut métabolique sain n’était pas associé avec un risque cardiovasculaire accru. Cependant, près de la moitié des particiapnts ont développé un syndrome métabolique au cours du suivi et ceux-ci ont vu leur risque cardiovasculaire augmenter (OR=1,60 [1.14-2.25]). Les auteurs recommandent une perte de poids pour tous les individus obèses malgré une obésité métabolique saine.

En conclusion, l‘obésité est un facteur de risque de maladie cardiovasculaire, même en l’absence de diabète, d’hypertension et d’hypercholestérolémie. Cependant, être « métaboliquement non sain » est un facteur de risque beaucoup plus fort. Le syndrome métabolique (appelé Syndrome de l’X) est défini par plusieurs anomalies de l’obésité abdominale (tour de taille élevé), de l’hypertension artérielle, un taux élevé en triglycérides, un taux faible de cholestérol HDL et un taux élevé de glycémie veineuse.
Le concept de Syndémie mondiale
La syndémie (« Syndemic » en anglais) est un néologisme du groupe de travail du journal scientifique The Lancet. Elle est définie par deux maladies ou plus qui sont regroupées dans le temps et l’espace et qui interagissent les unes avec les autres. Celles-ci ont pour origine des déterminants sociaux-économiques communs. Ces trois pandémies s’entre-alimentent : l’obésité, la sous-nutrition et le réchauffement climatique. Ces 3 pandémies sont liées par les systèmes agroalimentaires, les transports, le design urbain et les utilisations des sols et des ressources.

Voici quelques exemples d’interactions :
- L’obésité et le retard de croissance dans la même population
- L’utilisation de la voiture, la sédentarité et les émissions de gaz à effet de serre (GES)
- La production bovine, les émissions de GES, la consommation de viande, les cancers du côlon et les maladies cardiovasculaires
- GES, le changement climatique, les phénomènes météorologiques catastrophiques,la réduction de la production agricole et des éléments nutritifs, en particulier dans les zones marginales, entraînant la faim et la dénutrition

Les aliments ultra-transformés et le microbiote
De plus en plus de recherches épidémiologiques soutiennent l’idée que les aliments ultra-transformés nuisent à la santé humaine. Un aliment ultra-transformé est défini dans la classification NOVA. Ce sont des formulations industrielles qui comportent plus de 4 ou 5 ingrédients. Ces aliments peuvent comporter des additifs alimentaires, des protéines hydrolysées, des amidons modifiés et/ou des huiles hydrogénées. Un aliment hautement transformé est un produit qui est hyper palatable (goûteux, onctueux en bouche), souvent peu coûteux, facile à consommer. Ces produits sont généralement énergétiquement denses, riches en sucres ajoutés, en sel et matières grasses.

La composition du microbiote (les bactéries intestinales) peut changer rapidement avec les changements alimentaires et contribuer aux effets négatifs sur la santé, comme en témoignent les études de transplantation de microbes chez les rongeurs. La transplantation d’un microbiote d’une personne obèse chez une souris normale l’a fait grossir. Les processus de transformation alimentaire pourraient influencer la composition du microbiote en modifiant la structure des aliments (Zinöcker 2018)
Les nutriments acellulaires, c’est-à-dire les nutriments non contenus dans les cellules, fournissent aux cellules microbiennes et humaines des substrats plus faciles à digérer qui influencent la cinétique (vitesse) d’absorption humaine et sont susceptibles d’influer sur la croissance des bactéries intestinales. Les cellules végétales ont des parois cellulaires composées principalement de fibres, ce qui rend le contenu des cellules végétales intactes moins disponible pour l’absorption dans l’intestin grêle. Ce contenu devient disponible dans le côlon pour les bactéries qui dégradent les fibres.
La transformation des aliments qui conduit à la rupture des parois cellulaires affecte la disponibilité des nutriments dans l’intestin grêle. Lorsque les grains entiers de blé, par exemple, contiennent tous leurs éléments nutritifs dans des cellules, les grains transformés en farine complète contiennent un mélange de cellules intactes et rompues (Zinöcker).

Des quantités accrues de nutriments acellulaires facilement accessibles dans un régime alimentaire occidental pourraient faciliter un potentiel de croissance accru ainsi qu’une modification de la composition et du métabolisme du microbiote intestinal.
Par ailleurs, les aliments ultra-transformés pourraient influencer le microbiote à travers certains additifs comme les édulcorants artificiels ou le polysorbate 80 (des ingrédients spécifiques aux aliments ultra-transformés) qui pourraient influencer l’inflammation de bas grade dans plusieurs études animales (Suez 2015, Chassaing 2017). Il est intéressant de noter que lors de l’évaluation des risques des additifs, les effets sur le microbiote ne sont pas pris en compte.
Les politiques de santé publique et l’obésité
Face à l’épidémie de surpoids et d’obésité, certains Etats essayent de changer les comportements alimentaires à travers la taxation de produits jugés mauvais pour la santé. A savoir que ce type de mesure ne touche pas de la même façon les différentes classes socio-économiques (les classes défavorisées seront principalement impactées). Le Chili (63%), le Mexique (64%) et les Bahamas (69%) présentent des taux élevés de prévalence du surpoids. En 2014, le Mexique avait adopté une taxe sur les boissons sucrées de 10%. Dans un premier les temps, les ventes de soda ont diminué en 2014 et 2015 mais je n’ai pas de trouvé de données pour 2017-2019.

En France, une taxation du sucre ajouté dans les boissons a été mise en place. Un représentation de l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) Europe nous a présenté les effets de politiques en Russie pour restreindre la consommation d’alcool. Sur ce graphique, la diminution de la consommation d’alcool semble corrélée à une augmentation de l’espérance de vie (la causalité n’est pas démontrée ici puisque ce ne sont que des données observationnelles).

Au Royaume-Uni, des restrictions sur les publicités télévisées ont été mises en place. Cependant, l’OMS Europe estime que ces politiques sont insuffisantes pour limiter le marketing des produits trop gras, trop salés et trop sucrés pour les enfants. La télévision est un média important mais la promotion de produits malsains est complétée par les réseaux sociaux qui sont difficiles à réglementer (comment vérifier les centaines de milliers de tweets ou publicités sur Instagram ?). Ces politiques publiques doivent s’accompagner d’une meilleure information du consommation, de son éducation nutritionnelle et d’action au niveau local et national.

Le changement climatique et la qualité nutritionnelle
Les carences alimentaires en zinc et en fer constituent un problème de santé publique mondial majeur avec 2 milliards de personnes carencées. Pour ces personnes, les principaux aliments vecteurs de zinc et fer sont les céréales et les légumineuses C3. Or les végétaux consomment du CO2 lors de la photosynthèse et en rejettent pendant la photorespiration. La concentration en CO2 atmosphérique a dépassé le seuil symbolique des 400 ppm en 2014. Cela signifie que l’air se compose d’environ 0,04% de CO2, 78% d’azote et 21% d’oxygène et d’autres gaz. Selon les scénarios de changement climatique, cette teneur en CO2 pourrait atteindre 940 ppm à la fin du siècle ou 550 ppm dans le scénario optimiste. Quel est l’effet de cette hausse du dioxyde de carbone sur les végétaux ?
L’équipe de S. Myers a identifié que ces céréales et légumineuses en C3 ont des concentrations plus faibles en zinc (-68% de la teneur) et en fer (-81%) lorsqu’ils sont cultivés sous une atmosphère avec un taux de CO2 plus élevé (550 ppm vs 400 ppm). Les cultures en C4 semblent moins affectées. Les mécanismes impliqués sont méconnus mais cette hausse de CO2 atmosphérique s’accompagne d’une inhibition de la photorespiration et de la production de malate, d’une dilution des glucides, d’une absorption plus lente de l’azote par les racines et une diminution du débit massique d’azote induite par la transpiration.

Les chercheurs ont également souligné que des milliards de personnes vivant actuellement avec des carences nutritionnelles verraient probablement leur situation s’aggraver du fait de cultures moins nutritives.
Selon l’étude, c’est l’Inde qui supporterait le plus lourd fardeau, avec environ 50 millions de personnes souffrant de carence en zinc, 38 millions de personnes en protéines et 502 millions de femmes et d’enfants devenant vulnérables aux maladies associées à une carence en fer. D’autres pays d’Asie du Sud, d’Asie du Sud-Est, d’Afrique et du Moyen-Orient seraient également touchés de manière significative.
Le Dr Myers a également mis en garde contre la disparition des pollinisateurs (dans les impacts du changement climatique) qui pourrait compromettre les cultures qui dépendent des pollinisateurs et à long terme faire diminuer les apports en fruits, légumes, fruits à coque.

Réseaux sociaux, allégations de santé et désinformation
Avec l’arrivée des réseaux sociaux et leur nombre d’utilisateurs croissants, il y a eu un changement majeur dans la manière dont les questions portant sur la santé sont communiquées. Google est un excellent moyen pour trouver des informations scientifiques mais également des rumeurs et de fausses informations. Tout le monde peut accéder facilement aux principaux résultats (au moins les abstracts) de la recherche sur PubMed. Cependant, ces résultats restent compliqués à interpréter.
L’Irish Cancer Society a présenté l’exemple du resvératrol. C’est un polyphénol (un antioxydant) contenu dans les baies, le vin rouge ou le chocolat noir. Le resvératrol à haute dose et purifié présente des effets anti-inflammatoires. Or l’inflammation est un facteur impliqué dans de nombreuses maladies chroniques. Sur internet, on peut lire que cette molécule soigne le cancer.
Cependant, une étude (Semba 2014) a suivi pendant 11 ans des personnes présentant des taux de resvératrol élevés. Ils ont découvert que ceux-ci ne vivaient pas plus longtemps et n’avaient pas moins de maladies cardiovasculaires ou de cancers que ceux présentant de faibles taux de cet antioxydant ! L’effet du resvératrol (à travers la consommation de vins) a largement été surestimé en contexte de consommation normale ! Pour atteindre ces effets, il faudrait consommer 2-3L de vins or ces effets seront contre-carrés par l’alcool…

Il y a eu une énorme explosion d’informations sur l’alimentation et la nutrition et la monétisation du secteur a déclenché une vague de nouveaux flux de communication nutritionnelle qui contournent les moyens traditionnels (presse écrite ou télévision). L’arrivée des influenceurs, des « coachs nutritions », les messages marketing et les opinions personnelles rendent certaines messages de santé illisibles et confus. « Des concepts tels que «sain» et «bien-être» sont devenus beaucoup plus difficiles à interpréter et nous commençons maintenant à reconnaître les conséquences potentielles pour les personnes touchées par le cancer » estime la Société Irlandaise contre le Cancer.

Le niveau de risque associé à la suite d’un conseil nutritionnel non fondé sur des preuves varie. Par exemple, une personne qui suit un régime pauvre en glucides présente un risque relativement faible, mais un patient cancéreux suivant un régime cétogène préconisée par un « coach » en nutrition est une personne à risque élevé
Il faut rechercher des informations contradictoires, la source de ces informations et l’auteur et d’éviter de repartager des informations non vérifiées. Voici quelques éléments qui devraient vous alerter :
- des recommandations ou des allégations de santé qui promettent une solution rapide (voire miraculeuse), sans effort ou garantie
- des conclusions simplistes tirées d’une étude complexe
- des recommandations basées sur une seule étude
- des listes de « bons » et « mauvais » aliments
- des produits qui indiquent qu’une étude est en cours alors qu’il n’y a pas de recherche en cours
- des témoignages d’experts non scientifiques à l’appui d’un produit, émanant souvent de célébrités ou de clients très satisfaits
- attention aux produits ou services qui font appels à vos émotions, qui font l’objet d’une promotion « naturelle », « détoxifier », « revitaliser », « purifier votre corps »
Comment reconnaître des conseils fiables en matière de nutrition dans les médias ?
Sur internet, il faut de préférence aller vers les sites institutionnels d’université, de centres hospitaliers, d’agences sanitaires (régionales ou nationales comme l’ANSES ou Santé Publique France), des organismes scientifiques reconnus (CNRS, INRA, OMS, FAO, EFSA…). Les sites se terminant .edu ou .gov sont à privilégier.
Dans les livres, les journaux, les magazines, il faut faire attention aux qualifications de l’auteur. Est-il un diététicien, un médecin nutritionniste, un diplôme accrédité en nutrition (ingénieur, master, doctorat…). Est-ce que la personne a des conflits d’intérêts avec l’industrie agroalimentaire ?
A la télévision et à la radio, il faut se demander si les résultats sont bien documentés et reproductibles. Une étude ne rend pas une conclusion absolue. Soyez critique et recherche d’autres études voire des études contradictoires.
Si vous avez des questions, consultez un professionnel de santé (diététicien, médecin).
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Sources :
Zinöcker, M., & Lindseth, I. (2018). The Western Diet–Microbiome-Host Interaction and Its Role in Metabolic Disease. Nutrients, 10(3), 365. doi:10.3390/nu10030365
Chassaing t al. Dietary emulsifiers directly alter human microbiota composition and gene expression ex vivo potentiating intestinal inflammation. Gut. 2017 Aug;66(8):1414-1427
Suez et al. Non-caloric artificial sweeteners and the microbiome: findings and challenges. Gut Microbes. 2015; 6(2): 149–155
Samuel S. Myers et al. Rising CO2 threatens human nutrition. Nature. 2014 Jun 5; 510(7503): 139–142. http://www.environment.harvard.edu/sites/default/files/myers_2014_increasing_co2_threatens_human_nutrition_aop_version.pdf
Alcohol policy impact case study. The effects of alcohol control measures on mortality and life expectancy in the Russian Federation; Copenhagen: WHO Regional Office for Europe; 2019. Licence: CC BY-NC-SA 3.0 IGO.
Eckel N et al. Transition from metabolic healthy to unhealthy phenotypes and association with cardiovascular disease risk across BMI categories in 90 257 women (the Nurses’ Health Study): 30 year follow-up from a prospective cohort study. Lancet Diabetes Endocrinol. 2018 Sep;6(9):714-724.
Zinöcker, M., & Lindseth, I. (2018). The Western Diet–Microbiome-Host Interaction and Its Role in Metabolic Disease. Nutrients, 10(3), 365. doi:10.3390/nu10030365
Irish Cancer Society et FENS 2019